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Première apparition : 1968 - Femme aujourd'hui - La revue du témoignage urbain

koinai.net

La revue du témoignage urbain

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Femme aujourd'hui

Première apparition : 1968

Je m’appelle Jacqueline Moues. J’ai 52 ans. Je suis d’origine du Cameroun. Aux femmes… Alors qu’est-ce que j’adresserais comme… ? Qu’est-ce que j’adresserais comme message… ? Moi je dirais aux femmes de continuer à avancer comme elles le font, c’est déjà un bon départ et… je crois que l’avenir nous appartient, voilà.


Koinai : Quelle est votre vision de la femme d’aujourd’hui ?
La vision de la femme aujourd’hui… ? Je pense, je trouve que les femmes sont suffisamment aidées et bien ; elles ont été bien comprises par la société et surtout par les hommes. Et que c’est une bonne chose, et que c’est une bonne avancée pour les femmes. Bien sûr, elles ont lutté, les femmes, elles ont toujours lutté hein ! Depuis… Je sais plus en quelle année que ça a commencé : en 68. Ah oui : "Femme… 68". Moi j’étais trop jeune pour me rendre compte, mais j’ai compris qu’elles ont lutté pas mal, les femmes, pour obtenir ce qu’elles ont obtenu. Et c’est pas encore tout à fait ça hein, parce qu’il y a toujours des inégalités entre hommes et femmes, en ce qui concerne le travail, les salaires.

K : Quand vous êtes-vous dit que vous étiez une femme ?
Quand est-ce que je me suis dit… une femme ? Quand j’ai vu mon sexe, quand j’ai pris conscience du sexe. Je pense que c’est ça la question, hein ? Je sais pas vraiment. Quand est-ce que j’ai pris conscience que j’étais une femme ? Je crois que ça vient quand on est toute petite, on nous rabâche tout le temps : "Fais pas ça, toi tu es une fille, fais pas ça, toi tu es une fille !" Bon, les filles étaient éduquées autrement que les garçons - ça veut pas dire mieux non plus hein ! - mais c’était différent. Les filles avaient droit à certaines choses que les garçons n’avaient pas droit et vice et versa. Par exemple on nous apprenait qu’un garçon avait certains droits que les filles n’avaient pas, par contre. Mais sur le plan d’éducation, je veux dire par rapport aux parents, on était pareils à leurs yeux mais ils nous donnaient une éducation différente des garçons, à savoir que nous on est des filles, on a des limites quoi, voilà. Et, une fois que j’ai atteint… À l’âge de la puberté, qu’on m’a dit : "Attention, maintenant tu es une femme." Alors forcément on sait qu’on est une femme, quoi.

K : Filles et garçons n’avaient pas les mêmes traitements au sein de la famille ?
Non, pas du tout, j’avais le sentiment qu’y avait une petite différence quand même entre les garçons et les filles du fait que eux bénéficiaient de certains avantages et privilèges de la part des parents par rapport à nous les filles, parce qu’on était déjà cinq filles et deux garçons, et j’ai toujours remarqué que les garçons étaient plus avantagés que nous. Ça m’a pas choquée du tout connaissant ma mère, disons que je trouvais que c’est trop injuste, c’est plutôt injuste mais bon, on n’avait pas le choix de toute façon. Par exemple quand nous on travaillait, on ramenait, mes sœurs et moi, le salaire, on le donnait à mon père, bien sûr, et à ma mère ; et ma mère, elle le mettait de côté, le salaire, pour acheter une voiture à mon frère, alors que nous on n’a même pas de voiture, et on n’a pas de permis et on allait travailler. Je me rappelle, moi, je m’en souviens très bien : j’allais travailler sur une mobylette en plein hiver avec la neige, le verglas et je me suis bien esquintée hein, parce que je suis tombée de la mobylette, en plus j’ai glissé sur le verglas… Et alors qu’à mon frère, elle nous prenait nos salaires pour lui acheter sa voiture. Il y avait plein de petites différences comme ça. Comme pour les vêtements : nous on avait le droit par exemple à une jupe ou à un pantalon ; mon frère, il avait le droit aux costumes, aux chaussures, la chemise et tout le tralala quoi, voilà, y avait plein plein de petite différences comme ça ; je peux pas les énumérer toutes parce que j’en aurais pour toute la journée.

K : Votre mère a-t-elle été d’accord pour que vous passiez le permis ?
Oui, elle était d’accord ; c’est mon père qui n’était pas d’accord. Alors j’ai dû, j’ai dû… Quand je recevais par exemple à l’époque un petit peu d’argent de poche, je le mets de côté et je suis allée m’inscrire en cachette à l’auto-école, et j’ai fait un stage et j’ai eu mon permis, heureusement, du premier coup au bout de trois mois. Ma soeur elle a suivi le même chemin, elle a fait la même chose en cachette et heureusement aussi elle l’a eu du premier coup. Parce que si on n’avait pas fait ça, je pense qu’on l’aurait pas encore eu maintenant.

K : Quel est votre cursus scolaire ?
Alors le cursus scolaire… J’ai fait, et ben comme tout le monde : la maternelle, primaire, ensuite je suis arrivée à la secondaire, et j’ai arrêté ma scolarité en secondaire quoi, en classe de troisième.

K : Quel est votre parcours professionnel ?
J’ai fait beaucoup de choses, j’ai commencé en 73. En 73 j’ai eu mon premier job, comme on dit. À l’époque bon, c’était femme de ménage dans les bureaux : c’est-à-dire à la fermeture vers cinq heures on va faire le ménage dans les bureaux comme style Usinor, Usinor Dunkerque tout ça, voilà. Ensuite eh ben j’ai fait des petits boulots à gauche à droite dans le ménage aussi. Ensuite j’ai fait des stages, des stages du style un peu, pré-formation, formation. Ainsi de suite. Après j’ai fait un stage, j’ai fait une école hôtelière, ensuite à l’école hôtelière j’ai eu mon premier travail dans un restaurant en tant que serveuse, ensuite eh ben j’ai fait que ça. Je suis toujours active. Malheureusement, bon, je travaille de moins en moins vu mon âge, quoi. Et dans le monde des entreprises on n’accepte pas facilement entre parenthèses "les vieilles", donc j’ai de moins en mois de chances de travailler, mais je désire toujours travailler, bien sûr.

K : Êtes-vous indépendante ?
Très, très indépendante ; je détaille ? Je détaille ? Parce que… C’est-à-dire que j’ai toujours compté que sur moi-même, même déjà en étant mariée je ne dépendais pas de mon mari. Depuis l’âge de seize ans, j’ai toujours fait ce que je voulais moi, et j’ai jamais dépendu de personne d’autre que de moi-même. Donc j’estime que je suis indépendante en tant que femme, même très indépendante, même le moment où je vivais en couple.

K : Vous sentez-vous femme ?
Absolument.

K : Quelle femme êtes-vous ?
Sur le plan caractère, moral ou je sais pas moi ? Je vais essayer de vous donner un petit peu une idée. Bon : je suis une femme très indépendante déjà - je l’ai déjà dit auparavant, je crois. Je suis très cool, quoi, dans la vie, je suis - peut-être un peu trop - terre à terre, quoi. J’ai la tête bien sur les épaules, voilà quoi, et puis je suis très… comment dirais-je ? - je cherche le mot exact... - j’essaye toujours d’avancer, quoi, de forcer les barrières dans la vie et tout ça. Je suis un petit peu fonceuse, quoi, sur les bords, je me laisse pas facilement abattre par ce qu’on vit actuellement dans la vie, quoi. Dans ce monde, je me laisse pas facilement abattre, il m’en faut beaucoup.

K : Comment votre vie de femme a-t-elle évolué ?
Très mal départ. Le départ très très mal. Et après, une fois après mon mariage et mon divorce, ça a été bien. À cause du - comment dirais-je ça ?... - à cause du contexte familial : on avait, j’avais beaucoup de problèmes. Je parle pour moi bien sûr, mais certaines de mes sœurs ont vécu la même situation que moi, c’est-à-dire à savoir que on avait des parents très rigides et un père très très sévère ; et on n’a pas eu la vie qu’on aurait espéré, nous. Nos parents, ils ont essayé plutôt de nous donner la vie que eux ils auraient voulue pour nous. Mais je leur en veux pas parce qu’ils ont cru bien faire. Et bon ben, une fois que ça a gâché un petit peu ma vie quelque part - parce que j’ai pas fait ce que je voulais - après j’ai pris ma vie entre mes mains et j’en ai fait ce que je voulais un petit peu, quoi, voilà. Mais après mon mariage et mon divorce.

K : Pensez-vous que la maternité soit nécessaire à l’épanouissement personnel ?
Alors là, c’est dur, c’est une question très difficile ; pourtant j’ai déjà passé par là, mais avec du recul comme ça, tu sais plus franchement si tu l’avais souhaité ou pas. Je pense - c’est une idée personnelle - que pour l’épanouissement d’une femme il faut des enfants, ne serait-ce que un. Pour connaître ce que c’est que l’enfantement et le sentiment d’être mère, c’est ça. Je dirais pas - peut-être pas - "nécessaire", mais je crois pour l’épanouissement de la personne, il faut au moins connaître ça. Je sais pas hein, une femme qui n’a pas enfanté ne serait-ce qu’une fois c’est, je sais pas, c’est manqué, il y a quelque chose qui manque.

K : Quelles étaient vos obligations de mère ?
C’est tout envers mes enfants, c’est tout. Les obligations que toute mère a envers ses enfants, je pense, hein. Je suis responsable d’eux, je les élève au mieux que je peux avec les moyens que j’ai, et voilà.

K : Rencontrez-vous des difficultés particulières ?
Des difficultés particulières, ah oui financièrement voilà, exclusivement financièrement, du fait que je ne travaille pas, donc c’est très très dur de se suffire à soi-même quoi, donc c’est la seule difficulté, en fait.

K : Quel changement avez-vous vécu ?
Changement… Les changements… Alors pas beaucoup de changements en situation, mais beaucoup de régions. J’ai changé beaucoup de régions, j’ai essayé un peu de voir si c’était pareil aux autres régions, mais finalement dans chaque région elle a sa difficulté et son aisance quoi, elle a ses avantages et ses inconvénients, hein. Et je trouve que c’est bien, parce que ça vous donne une expérience et c’est clair que ça aide toujours, ça aide toujours l’expérience.

K : Quelle est votre relation avec votre mère ?
J’ai une très bonne relation avec ma mère. Par ailleurs ma maman elle avait d’autres, d’autres points de vue sur le monde que moi. C’est-à-dire que il y avait des problèmes, on n’était pas d’accord toutes les deux là-dessus, parce que elle pensait ça et je pensais autrement et des fois que… C’est vrai que ça créait des petits conflits entre nous, mais c’était jamais trop grave, quoi. Parce que d’abord on n’est pas de la même génération, ce qui est normal hein, aussi hein. Moi j’ai été scolarisée, elle n’a pas été. Elle était illettrée, donc quand on manque un peu de savoir, on manque un peu de… disons un petit peu de discernement et je crois que… y a que ça, y a pas grand chose de différent.

K : Quelles sont vos ressemblances ?
Alors je répète, les ressemblances entre ma mère et moi… Je pense qu’on est… Les ressemblances que j’ai avec ma maman c’est… Et ben je suis cool comme elle, je suis très compréhensive, quoi. Et ma maman était une personne très gentille, et qui avait beaucoup d’humour, surtout, et je crois que j’ai hérité ça d’elle, l’humour et la gentillesse et la sympathie.

K : Est-ce que votre fille connaît une autre éducation et une autre vie que la vôtre ?
Une autre éducation que la mienne ? Ah oui, tout à fait parce que j’estime que la mienne elle m’a pas suffi. Même si mes parents ils pensaient que elle était bonne, moi elle m’a pas franchement… elle m’a pas forgée, elle m’a pas ouvert les yeux, bien au contraire ! J’ai mis du temps pour ouvrir les yeux. Si je veux que ma fille elle évolue mieux que moi dans la vie, et prenne un bon départ donc, je me comporte différemment que ma mère s’est comportée avec moi, dans tous les domaines. Moi déjà, je suis plus cool par rapport à mes filles - j’en ai deux. Par exemple je lui donne entièrement confiance pour qu’elle fasse le nécessaire. Par exemple maintenant elle a vingt-quatre ans, elle cherche du travail, je ne lui mets pas les bâtons dans les roues, comme à l’époque nos parents : "Ah oui mais tu peux pas aller travailler, tu es pas un mec toi, tu restes à la maison, tu fais la vaisselle et le manger et tout !" Donc moi j’essaye d’éviter tout ça à ma fille. Elle fait ce qu’elle veut, elle cherche du boulot ; si elle a envie de sortir elle sort ; si elle a envie de rentrer, elle rentre. Franchement je lui interdis pas de faire quoi que ce soit qui… Sauf si, si je la vois un petit peu dévier de la bonne voie, à ce moment-là je suis un peu obligée d’intervenir, pour la secouer un petit peu mais je crois que c’est pas nécessaire. Maintenant les enfants, ils sont très éveillés et très… comment dirais-je, ils sont déjà bien responsables d’eux-mêmes, très jeunes.

K : Êtes-vous attachée aux traditions ?
Oui bien sûr, alors les traditions j’y suis attachée mais, maintenant il faut voir lesquelles hein, parce que y en a certaines, certaines traditions, certaines traditions je les, comment dirais-je, je suis pas d’accord ; par contre d’autres je suis tout à fait d’accord… Il y a des traditions par exemple en ce qui concerne… surtout puisque on parle de femme aujourd’hui, voilà, des traditions comme obliger une femme de se marier de force avec quelqu’un qu’elle connaît pas, qu’elle ne connaît pas ni d’Ève ni d’Adam et qu’elle est obligée de l’épouser comme ça. Je suis pas tout à fait d’accord avec cette tradition. Parce que moi je le ferais jamais ça avec ma fille. Et les traditions, je pense que… Dans le monde entier les gens ont leurs traditions, puis y en a certaines qu’on respecte et les autres qu’on, qu’on est pas d’accord avec, voilà. Je vois pas ce que je pourrais bien dire là-dessus hein, à part ça.

K : Quelles valeurs avez-vous reçues de votre mère ?
Les grandes valeurs morales, religieuses et… Ma mère elle nous a toujours parlé des, des trucs, comment qu’on appelle ça… Le moral justement. Et elle nous a toujours déconseillé les mauvaises voies, conseillé les bonnes voies : faire ça, ne pas faire ça. Il y a beaucoup de choses que je trouvais justes, parce que maintenant en étant mère moi-même je les ai appliquées et j’ai trouvé qu’elles étaient valables quoi, ses consignes. C’est très bien parce que ça nous a aidé dans la vie, quoi.

K : Souhaitez-vous les transmettre à vos filles ?
Ah, certaines oui, ah oui absolument ; les autres bon, j’estime que les parents ont pu aussi, peuvent se tromper là-dessus dans leur éducation et donc… Non franchement, je pense pas les transmettre. Parce que j’estime que c’est pas de notre époque, ça n’a rien à voir, quoi. On vit plus à la même époque aussi, donc c’est différent maintenant, hein.

K : Est-ce que la religion joue un rôle dans votre vie ?
Oui, la religion joue un rôle très important dans ma vie, oui : je suis croyante pratiquante, voilà.

K : Quel est le rôle de vos amies femmes dans votre vie ?
Le rôle ? Alors elles ont juste un rôle divertissant quoi, je veux dire distrayant, voilà. J’ai pas beaucoup d’amies. Pour le peu que j’ai, je les vois pas souvent, et quand je les vois ça me distrait un petit peu, mais ça rajoute rien à ma vie, quoi.

K : Existe t-il une solidarité féminine ?
Je pense oui, je pense. Moi je suis très solidaire - je parle pour moi bien sûr hein ! - je suis très très solidaire des femmes.

K : Comment prenez-vous soin de vous ?
Comment je prends soin de moi ? Je me dorlote, je me dorlote, voilà hein. Des fois j’ai envie de prendre soin de moi et ben je vais, je vais aller au hamam, et je vais me faire faire un massage voilà. Je reviens à la maison, je me fais des soins sur le visage, et puis voilà. Je me sens mieux dans ma tête quoi, quand je prends soin de moi de temps en temps quoi.

K : Comment vivez-vous l’égalité entre hommes et femmes ?
Il existe pas une égalité, il existe pas tout à fait ; c’est comment on a dit tout à l’heure, il y a encore des femmes qui sont sous-payées parce que sous prétexte que… Pourtant elles font le même travail que les hommes, les mêmes travaux que les hommes mais, elles sont pas payées comme les hommes et, donc il y a encore des inégalités à réparer, quoi. Dans le domaine du travail, je veux dire, point de vue salaire, hein. Mais maintenant y a d’autres, d’autres… Comment dirais-je, d’autres travails que les femmes ne font pas encore, que les hommes font, et qu’on les donne pas aux femmes voilà, je trouve que c’est pas normal.

Propos recueillis par Dalila Bouhmadou le 02/08/06 ; rédaction : Patricia Rouillard.

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