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Transport d'auteur - Mutations urbaines - Les transports marseillais en mouvement - Le tramway autrefois - La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

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Le tramway autrefois

Transport d’auteur

Littérature

L’auteur marseillais André Suarès (1868-1948) dépeint dans les années trente sa ville, ses mœurs, ses usages. Dans le Chapitre II de son ouvrage "Marsiho", il s’attarde, un passage, sur le tramway. Mise en scène.


Transport d'auteur
 Transport d’auteur

Sur une petite place, la foule se lance à l’assaut des trams. On crie, on rit, on se démène. Les enfants piaillent ; des mères leur répondent avec frénésie. Deux bonnes vieilles, le châle en pointe dans le dos, ont peur et s’appellent en provençal. La douce brise de la mer caresse les cheveux des femmes et fait frissonner leurs jupes. Les commères bavardent en cherchant le marche-pied ; et plus d’une continue de parler que personne n’écoute. Les voitures portent des grappes humaines, accrochées aux piliers de fer, pendues à la plaque d’arrière ; des hommes assis ou debout sur le degré, sur les moindres saillies. Il y en a qui visent le toit, avec l’idée d’y grimper. Ni ordre, ni rangs, ni souci du nombre ou d’une règle quelle qu’elle soit.

Les receveurs n’y donnent plus la moindre attention. A peine un coup d’oeil, et ils haussent les épaules. Ou bien ils rient : « Hé vaï ! C’est des gensses qui sont pressés. Bé ! Qu’ils s’arrangent ! » Ils n’ont pas toujours été au service de la Compagnie ; ils ont été au public, ils ont voyagé, eux aussi, pour leur compte. « Hé vaï ! » Quand la voiture s’ébranle, le conducteur à l’avant est coincé de si près entre les passagers, qu’il doit leur bourrer quelques bons coups de coude pour manoeuvrer le volant. D’ailleurs, sans aigreur ni réelle violence ; il est plutôt d’une patience un peu brutale, inaltérable et bien marseillaise toutefois. Si ce n’est celui de Paris, nul peuple n’est plus humain. On part. « Ha, ha ! » s’exclame-t-on sur les banquettes. « Es pas trop léoù ! Ce n’est pas trop tôt. - Vé, mettez toi là, Zéphyrin. Poussez pas. Reste tranquille, tu comprends ? Tu manzeras tout à l’heure. Hé, taïsa-ti, ronflon ! Poussez pas, que je vous dis ! Et où voulez-vous que je le cache, cet enfant ? dans ma poche ? - Qu’il est le vôtre ou le mien ? - Vous êtes guère poli, vous, si vous voulez que je vous le dise, guère aimable. - Je l’ai pas fait avec vous. - Allez, il serait encore en route, malhonnête, mariasse. »
Mille invectives contre la compagnie, contre le prix des places, contre le maire et son conseil de favouilles et de gobis, contre l’Etat, contre l’Europe. Et le tout, en riant.
Gens de mer, argile rouge ou brique ; gens de commerce et de bureau, argile grise ; Levantins, vieille chique. Les filles blanches de poudre, les joues et le menton de plâtre, les yeux au charbon, la bouche en figue qui s’ouvre, saignante ; elles marchent, et l’on sent le sillon humide qui sinue sous bois entre leurs cuisses. Et les ruffians, plus pâles que les hommes de peine et de travail, la peau brillante et rasée de près, la cigarette au coin droit de la bouche, l’oeil fort et louche, le foulard au cou, les cheveux noirs collés sur le crâne en bonnet de laque, vont et filent du pas allongé et paresseux à la fois des guépards.

"Marsiho" : p21-23, chapitre II ; éditions Grasset (6ème ed.) ; achevé d’imprimer le 15 mai 1933.

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