Née en 1911, Marthe Payrons a connu Marseille au temps des voitures à chevaux. Elle se remémore un temps où l’on circulait en landau, un temps où le tram n’empruntait qu’une seule ligne, un temps où "Les gens étaient contents ainsi".
On achetait Le Petit Marseillais. Il y avait aussi Le Provençal. J’étais jeune, je lisais, bien sûr, mais les journaux m’intéressaient moins. Le soir, il y avait un autre journal : Le Radical. Mon père le prenait. C’était les dernières nouvelles.
Il était boucher, il devait se ravitailler aux abattoirs. Autrefois, il fallait acheter une moitié de bœuf ou entier, de même pour les autres bêtes ! Nous étions livrés par les voitures à chevaux et des hommes costauds qui portaient sur leur dos. Puis mon père le détaillait. On achetait en fonction de la vente. Les frigos sont venus assez vite, mais tous n’en avaient pas ; ils avaient des glacières. Il y avait des marchands de pains de glace. Il fallait acheter, se ravitailler tous les jours. C’était une époque !
... Je me souviens surtout que de 1914 jusque 1918, tout était arrêté ; les hommes étaient tous partis, il n’y avait que des femmes qui travaillaient dans les usines un peu partout. À ce moment-là, il n’y avait qu’un tramway, un seul, une ligne. Je crois que c’est la ligne 41 qui part de Saint Julien et qui va jusqu’aux Chartreux. Peut-être qu’il y avait une seconde ligne en ville, mais c’était tout.
Quand j’étais enfant on allait beaucoup à pied. Il y avait des promenades. On profitait quand il y avait la foire aux santons. C’était beaucoup plus important qu’aujourd’hui. On descendait le boulevard de la Madeleine - L’actuel boulevard de la Libération - On descendait ce boulevard et on se retrouvait aux Réformés ; là où il y a la Poste, autrefois, c’était un café, il y avait une terrasse là où il y a ces arbres. Les gens, le dimanche, allaient souvent au café. Il y en avait tout le long. On allait aussi au jardin du Pharo où il y avait un restaurant. On visitait des musées. On allait au parc Borely, très joli à cette époque-là.
On ne prenait les landaus que quand on allait loin, sinon on marchait. Avant, on traversait dans tous les sens ; il y avait des passages protégés. Les Marseillais étaient habitués à traverser n’importe comment. Ces passages, ils ne les aimaient pas beaucoup, et ça a été difficile de les forcer à les utiliser. Les gens faisaient attention. Les gens marchaient parce qu’ils économisaient. Il ne faut pas oublier que de 1880 à 1925, ça a été dur ! Parce qu’il y a eu la guerre, l’après-guerre...
Les taxis ne sont apparus à Marseille qu’en 1925. C’était Mattei. Il y avait beaucoup de voitures à chevaux qui livraient le grain, le lait. C’était des voitures à trois chevaux. Il y avait beaucoup de monde, beaucoup de charroi, alors la Canebière est devenue trop étroite. C’est pour ça qu’ils ont coupé une rangée d’arbres de chaque côté pour la faire plus grande. Dans les allées de Meilhan aussi, il y avait une rangée d’arbres. Les gens prenaient beaucoup de voitures à chevaux. Jusque là, c’était très joli parce que les voitures, c’était des landaus. La rue Saint Ferréol était pavée en bois et quand ces voitures passaient dessus, ça produisait un bruit qui était joli, vous ne pouvez pas vous imaginer, un bruit que j’ai retrouvé très longtemps après à Turin, qui avait gardé encore certaines vieilles choses.
C’était très différent de maintenant. Par exemple, les Dames de France, ça a brûlé et on a tout reconstruit ; c’est devenu Aux Armes de France. Il y avait la rue de l’Académie, elle était très fréquentée par les Marseillais parce qu’il y avait beaucoup de marchandises, de vêtements, de chaussures. C’était un peu central. On remontait le boulevard de l’Arbre. Alors chacun se dirigeait vers la Plaine par la rue où il y a le Conservatoire. À l’époque, les bourgeois avaient des nourrices en costume, elles allaient mener les gamins du centre, dans les landaus, à la Plaine. Il y en avait donc là, mais aussi au Chapitre. C’était une vie de ville sédentaire. Et comme lieux, on allait en banlieue, c’était une promenade.
Autrefois, il y avait beaucoup de bateaux à voiles. C’était une époque différente. Tout était plus calme. On était moins nombreux. Le Vieux-Port de Marseille était beaucoup plus avancé. Lorsque vous vous trouviez à la Bourse, l’eau parvenait presque jusque là. De l’autre côté, en face de la mairie, il y avait un canal : le "Canal de la Douane". Et puis il y avait le fameux pont transbordeur. Le tram venait jusqu’au pont, on l’arrêtait sur la place, il faisait le tour des maisons. Il tournait et retournait au pont. Quand on était du côté de la mairie, on montait jusqu’aux prisons. Vous savez qu’il y avait des prisons, là-bas ? Du côté de Port Saint-Nicolas. On allait jusque là, ce qui évitait de faire le tour. Maintenant c’est fini, ça a été comblé, et j’ai vu lorsqu’ils ont reculé le Vieux-Port.
Il y avait le tram. C’était un tramway populaire pour tout le monde. Je ne me souviens pas du prix d’une course, je sais seulement qu’il y avait beaucoup de sous en plomb ou en cuivre sur lesquels figurait le casque du combattant ; et si vous n’en n’aviez pas assez, vous alliez à pied. L’été, ils mettaient ce qu’on appelle une remorque, dans cette remorque il y avait des bancs les uns derrière les autres. Il y avait un marche-pied. Il n’y avait pas de vitre, c’était des tentes. Il y avait la motrice et ses remorques. Ce n’était pas comme maintenant. Les gens étaient assis les uns en face des autres. Le receveur passait au milieu. Les sièges étaient en bois. Ce n’était pas mal. Je me souviens, l’hiver il n’y avait pas de vitre pour le conducteur, il avait une peau de bique, un manteau en peau de chèvre pour protéger du froid. J’ai aussi souvenir que le receveur possédait une tige de fer qu’il coinçait dans le passage des rails pour aiguiller pour que le tram puisse dévier.
Le tramway faisait la Corniche, le centre-ville et quelque fois la banlieue. Et puis le terminus était Saint Genny. Il allait un peu plus vite quand on faisait le tour de la Corniche. Les taxis étaient plus rapides. Mais on sortait de la guerre 1914 et, vous savez, les gens allaient à pied. C’était dur. Les moyens de locomotion n’étaient pas comme maintenant ; il y en avait moins ; Ils circulaient en fonction de leur nombre, il fallait attendre. Si vous aviez vu, le dimanche, les gens qui allaient à Château-Gombert ou ailleurs, c’était parfois des grappes humaines. Mais on avait l’habitude de marcher. À partir de 1925, par contre, il y avait des travailleurs qui possédaient de belles demeures et avaient des chauffeurs attitrés.
Ma foi, je ne comprends pas pourquoi on a enlevé les rails si on les remet. Et s’il y a un embouteillage, les bus, eux, ils peuvent passer, alors que le tram ne peut plus bouger. À l’époque, ils l’ont enlevé pour que les voitures aillent plus vite. Moi, je ne comprends pas, les bus c’est mieux que le tramway, ça va plus vite ! Ça marche avec le siècle. À l’époque, on avait le temps, alors qu’aujourd’hui il faut aller vite. Maintenant les gens sont plus personnels...
Propos recueillis par Christophe Péridier ; rédaction : Patricia Rouillard ; photo : archives
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