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Femme aujourd'hui

Priorité : les enfants

« Ça fonctionne très bien, de travailler entre femmes, très bien oui, très très bien ! On se passe des hommes ! On abandonne les nôtres, qui sont… qui restent à la maison - le mien est à la retraite - et puis voilà, quoi. Bon, c’est comme partout hein ! Des fois y’a un peu des petits coups de gueule, tout ça, mais c’est toujours resté dans l’amitié, l’amitié a toujours été prioritaire dans notre travail. » Colette Pastor


Long fleuve tranquille
 Long fleuve tranquille

Koinai : Comment conciliez-vous vie familiale et vie professionnelle ?
Oh, bè bien ! Normalement hè !… C’est-à-dire, bon, y’a beaucoup plus de travail, le matin je m’en vais, le soir je rentre je suis un peu fatiguée, bon, il faut assumer les tâches ménagères, mais enfin j’ai un mari qui m’aide énormément maintenant puisqu’il est à la retraite alors il a que ça à faire ! C’est lui qui reste à la maison et qui fait, voilà, il s’organise, je lui mets les lessives, il sait qu’il doit les faire tourner, qu’il doit mettre au sèche-linge, voilà quoi. Ah oui, il m’aide énormément, et je fais le plus gros le week-end. Voilà, le traitement de fond c’est le week-end. Et puis le reste ça se fait doucettement le soir puis, si c’est pas fait, c’est pas fait hein, toute façon y’a pas le feu au lac. Mes deux filles donc sont mariées, divorcées, et j’ai le fils qui est toujours à la maison, il a vingt-six ans, il fait Tanguy à la maison. Il travaille, mais il reste à la maison. Voilà, pour l’instant.

K : Qui gère l’argent ?
Alors question budget, tant que je ne travaillais pas, c’était moi qui tenais les cordons de la bourse. Et du fait que je ne sois plus à la maison, heu ben c’est lui qui va faire les courses, du moins - pas les grosses courses de fin de semaine, c’est moi qui y vais - mais sinon c’est mon mari maintenant qui s’occupe de gérer tout ça, de régler l’EDF et… Disons que maintenant j’ai tout mensualisé, comme ça on n’a plus à s’en occuper, et puis voilà, quoi. Ça se passe tranquille.

K : Comment devenez-vous créateur d’entreprise ?
Oh ! Alors c’est une longue histoire. Depuis l’âge de quatorze, quinze ans, je cousais. Pour moi c’est une passion. J’ai fait une formation de comptabilité, je me suis mariée, j’ai eu mes enfants, et quand j’ai voulu travailler, j’ai fait vendeuse en boulangerie, et après je me suis dit : "Non, c’est la couture qu’il me faut." Donc à l’âge de quarante-cinq ans j’ai passé un CAP et un BEP de couture ; j’ai fait un stage, j’ai fait une formation et j’ai passé, et là j’ai trouvé du travail dans un magasin. Je faisais des retouches à l’atelier et j’ai fait la connaissance d’Odile qui elle, travaillait dans les bureaux et on a sympathisé, on est devenu des amies - une grande amitié, pour moi c’est comme une sœur. Et lorsqu’on a perdu notre emploi, on a dit : "On peut pas se quitter", donc elle a dit : "On va créer quelque chose." Elle c’est pas du tout son domaine, et puis elle s’est lancée avec moi, on a créé cette entreprise, et voilà et on est toujours là depuis six ans.

K : Avez-vous conjugué activité professionnelle et maternité ?
Alors non, je n’ai pas travaillé, j’ai d’abord élevé mes enfants. Parce que c’était une priorité pour moi. Ma première je l’ai eue à vingt-deux ans, et voilà, deux ans après j’ai eu la deuxième, et le fils je l’ai eu cinq ans après, donc à vingt-huit ans j’avais trois enfants. Et j’étais mamie à quarante-deux ans. Je vais faire cinquante-cinq ans. Oui, c’est ça oui, cinquante-cinq ans. J’ai oublié, je compte plus. Voilà. J’avais un mari qui travaillait, bon, il était pompier professionnel donc il faisait des horaires… il travaillait vingt-quatre heures en caserne, tout ça, donc j’ai dit : "Priorité, les enfants". J’ai élevé mes enfants, j’étais là pour eux, pour les devoirs, pour tout ça, et quand elles sont arrivées à l’école, quand elles ont dû aller à Marseille - parce que je n’habite pas Marseille - je suis partie de la maison pour travailler. J’ai dû… il fallait travailler parce que bon, on avait besoin d’argent, voilà… Un seul salaire, voilà… Et quand ils grandissent, automatiquement ils ont besoin d’un peu plus d’argent.

K : Et au niveau de l’éducation des enfants, lequel de vous s’en est le plus chargé ?
Alors au niveau scolaire, c’est moi, heu bon, j’ai des enfants qui ont fait du sport, tout ça, donc bon, on se partageait quand il était là, il les menait au sport et tout, et bon, tous les deux. Mais niveau scolaire, c’était moi. Scolaire, ça a été moi, oui.

K : Quelle est votre vision du couple ?
Ah la vision du couple ! Bon, moi je suis une femme heureuse. Alors je suis mariée, j’ai eu trois enfants, j’ai une fille de trente-trois ans, une de trente et un, un fils de vingt-six, et je suis mamie de deux petites-filles, de onze ans et dix ans. Voilà, je suis heureuse. Je suis mariée depuis trente-quatre ans, à la fin de l’année ça va faire trente-quatre ans qu’on est marié… Pas de problèmes, bon, quand y’a quelque chose à se dire on se le dit, mais en mettant des barrières quand même. Je pense que les enfants, à l’heure actuelle, ont moins de respect de l’homme, entre l’homme et la femme y’a moins de respect. C’est plus des copains. Tandis que moi je suis de l’ancienne génération, donc où on respectait son mari… Heu, on peut parler de tout, mais y’a une certaine retenue. Y’a des choses que je ne me permettrai pas de lui dire, et que lui ne se permettra pas de me dire. Voilà. Y’a un respect. Je pense qu’on est de l’ancienne école, quand même.

K : La maternité a-t-elle contribué à votre épanouissement ?
La maternité c’est quelque chose de merveilleux pour moi, il faut le vivre pour vraiment réaliser ce que c’est exactement. On peut pas en parler, c’est un bonheur complet. J’ai eu trois enfants, trois enfants désirés que j’ai vécus pleinement. En plus j’ai allaité mes enfants huit mois tous les trois, donc c’est ce contact que j’avais avec ces enfants qui étaient pleinement à moi pendant huit mois.

K : Quelles valeurs vouliez-vous transmettre ?
Alors les valeurs, bon ben, bon je suis catholique donc on a été élevé dans la religion catholique. Je suis d’origine espagnole pied-noir, donc très sévère. Bon, j’ai été sévère au niveau du "Merci", du "S’il te plaît", "Est-ce que je peux me lever de table ?" Ça c’est quelque chose que je continue à faire avec mes petites-filles, et que mes filles transmettent à leur tour. Voilà, le respect, le respect des personnes âgées, le respect de l’adulte, des autres, voilà. Le respect des autres ; l’entraide aussi, être à l’écoute des autres. Parce que ça c’est important.

K : Avez-vous éduqué différemment filles et garçon ?
J’étais très proche de mes enfants, donc ça a été pareil. Peut-être le fils un peu plus gâté, parce que c’était le fifils à maman et c’était le dernier. Mais sinon je pense que ça a été pareil. Pareil. J’ai beaucoup de complicité, on a beaucoup parlé. Quand les filles avaient un problème elles venaient me voir, elles venaient voir maman, et on parlait de tout. On a abordé tous les sujets, les petits copains, tout tout tout. Moins avec le garçon, qui s’est tourné vers son père automatiquement. Voilà.

K : Quelle éducation avez-vous reçue de votre mère ?
Alors, éduquée. Bon j’ai été éduquée comme je dis "à l’ancienne", c’est-à-dire, bon, il fallait participer au ménage, heu, le respect, et puis bon, j’ai pas beaucoup parlé avec maman, on parlait pas. On parlait pas, on n’a jamais beaucoup parlé. Je parle plus depuis que je suis mère à mon tour, à ce moment-là on a eu des conversations qu’on n’avait jamais abordées auparavant. Au niveau éducation sexuelle… bon bè, quasiment pas, parce que ça se faisait pas à l’époque, voilà. Ça s’est toujours bien passé, mais y’avait quand même une retenue… pas une timidité, ça a été… plutôt une, j’sais pas, le mot ne me vient pas, c’est plutôt une réserve, voilà… une pudeur, voilà, tout à fait, tout à fait… Mais on a les mêmes valeurs, celles qu’elle m’a enseignées, je les applique et je les fais appliquer à mes enfants. Et je trouve que c’est bien, c’est ce qui manque énormément à l’heure actuelle : les jeunes n’ont pas ce respect de l’autre, ils sont trop égoïstes, égocentriques, voilà.

K : Votre mère vous semble-t-elle une femme d’une autre génération ?
Non, non, maman est restée quand même assez jeune, assez moderne. Disons, elle a évolué avec le temps. Voilà. Quand on était en Algérie - on est rentré en 62 d’Algérie à l’indépendance - maman travaillait à la ferme, au départ, après elle était à la maison pour nous parce qu’on était quatre filles. Arrivée en France, bon bè, elle a su s’adapter à la vie nouvelle, à une nouvelle sorte de vie dans un village, après on a vécu en ville. Mais elle a évolué, c’est une mamie, une maman très jeune, une mamie dans le coup qui est en pantalon, qui fait du vélo, qui a passé son permis à soixante ans, qui a sa voiture. Bon, papa est décédé, maintenant, donc elle est autonome complètement, voilà. C’est une femme très forte. Très forte de caractère.

K : Et quelles différences ou ressemblances vous diriez entre vous ?
Différences, je parle beaucoup plus, heu, je suis moins réservée que maman, quand même et sinon, je crois que au niveau corps, on a le même, j’ai hérité ça de maman. Sinon voilà, maman c’est maman.

K : Quel est le rôle de vos amies dans votre vie ?
Ah ! Mes amies c’est mes amies, c’est mieux que des sœurs. On se dit tout, on parle beaucoup, on passe de grands moments ensemble, on a des secrets. J’ai de meilleurs rapports avec mes amies qu’avec ma sœur. Ouais, meilleurs rapports. On se permet beaucoup plus de choses, c’est indéfinissable, voilà, c’est très sentimental. J’avais aussi énormément de copains, et je me suis toujours très bien entendue avec mes copains ; j’ai des amis garçons que j’aime aussi profondément que mes amies filles. Je pense que c’est dans mon caractère, quand j’aime quelqu’un, je l’aime, voilà, c’est tout, pleinement, entièrement. Je suis entière à ce niveau-là.

K : Et quelle est votre vision de la femme aujourd’hui ?
La femme… Bon la femme maintenant elle a beaucoup plus de droits, déjà elle est plus autonome, même au niveau politique elle est en train de monter… Parce que bon, ça serait bien qu’on ait une petite société matriarcale, là, pour mettre un peu les hommes sur le droit chemin. Voilà. Parce que les femmes maintenant s’occupent énormément de leurs enfants, y’a beaucoup de femmes seules avec les enfants, et qui se débrouillent très bien, donc voilà. Mais la femme est forte, je trouve, de caractère et de tout. Ouais.

K : Pensez-vous qu’il y a une égalité entre les femmes et les hommes ?
Non, pas du tout. Non, voilà c’est tout. Voilà, c’est tout simple, c’est "Non" : niveau salaire, niveau travail, au niveau… Non, moi je dis que non. Y’a pas d’égalité, il faudrait qu’il y en ait un peu plus. Au niveau du couple c’est différent. Moi, je peux pas dire. Par rapport au mien, non, y’a égalité. Y’a égalité. Mais maintenant, comme y’a de plus en plus de familles monoparentales, les femmes ont pris le rôle du père et de la mère, et donc automatiquement elle prend un peu plus d’importance, la femme, hein. Plus d’importance.

K : Et au niveau de l’indépendance des femmes, vous vous sentez une femme indépendante ?
Tout à fait. Tout à fait. Je fais ce que je veux : - "Allo chéri, je rentre tard ce soir." - "Tu fais ce que tu veux." Voilà. Il faut dire, y’a beaucoup de confiance. Voilà. Je pense que non, mais sinon oui, oui, je suis indépendante. Je suis indépendante. Dans mon travail, aussi, oui oui. Oui oui. Ça, je pense que je suis indépendante.

K : Et quelles sont vos aspirations aujourd’hui ?
Disons que mes aspirations… Bon bè, je m’épanouis dans mon travail, je suis épanouie au niveau du couple, je suis ravie d’avoir des enfants et des petits-enfants, donc je pense que je suis heureuse, je veux rien d’autre, que tout baigne, que tout continue comme ça sur ce long chemin de la vie.

K : Avez-vous un message à passer aux femmes ?
Aux femmes… Je leur dis : "Soyez respectueuses, si vous voulez être respectées. Affirmez-vous, mais sans vouloir dépasser le rôle de la femme." Voilà. Je… leur demande d’avoir beaucoup de courage, parce que la vie est dure, d’avoir des enfants, parce que c’est merveilleux, et puis, et puis de s’épanouir dans leur vie de couple et de femme. Voilà, c’est tout ce que je leur souhaite. D’être heureuses.

Propos recueillis par Odile Fourmillier le 13/06/06 ; rédaction Patricia Rouillard ; image : Christian Coursaget.

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