« Femme c’est… à vingt-cinq ans. Oui, quand je me suis mariée. C’est là où je me sentais vraiment femme. Je suis pas la femme… C’est vrai qu’y a des femmes arabes - bon, j’ai le droit de dire ça, ouais ? - que toujours ils sont là en train de surveiller leur mari ; ils leur donnent pas dès le départ la confiance, toujours ils courent derrière lui. Toujours ! Alors, à ce compte-là, elle le laisse à la maison, elle lui met la robe longue et le tablier et elle le laisse travailler ! Et oui ! Il faut que dès le départ ils ont la confiance. Moi dès le départ, le jour de mon mariage, j’ai donné la confiance à mon mari. Et c’est très bien ainsi. » Farida, 38 ans.
Koinai : Quel genre de femme êtes-vous ?
Ben je suis une femme à maman, j’ai des enfants, je m’occupe beaucoup de mes enfants, je travaille, je suis une femme de maison et une mère au foyer. Je travaille aussi. Voilà.
K : Quelle femme rêviez-vous d’être ?
Ce que je suis ; voilà ouais. J’ai toujours aimé d’être comme ça, ouais. Je suis mariée, ça fait dix-huit ans de mariage, et j’ai trois enfants et je suis fière d’eux, et je suis bien avec mes enfants et mon mari, tout.
K : Comment avez-vous rencontré votre futur mari ?
Je l’ai rencontré dans le bar de chez ma sœur. Elle tenait un bar, après elle m’a présentée et c’est comme ça qu’on a fait connaissance. Voilà, c’est dans un bar qu’on s’est rencontré. C’est comme ça qu’on s’est connu. À l’apéro ! Voilà.
K : Et la maternité pour vous c’était un projet ?
Oui. C’était un projet parce que bon je voulais être déjà une maman, je voulais faire, je sais pas moi, l’exemple des mamans que je voyais, que je connaissais. Ils ont réussi quoi, avec leurs enfants. Je voulais…
K : Comment vivez-vous votre maternité ?
Bien, bien, bien. Ah oui, même très bien, même. Je sais que je suis bien, j’ai pas à me plaindre, hè, franchement. Enfin, moi, quand je tombais à chaque fois enceinte de mes enfants, j’ai laissé les choses venir seules, et quand c’était le moment d’aller accoucher, j’allais accoucher. Mon mari, il était toujours présent. On avait toujours nos affaires prêts, pour l’enfant, pour… C’était tout organisé, c’était tout préparé, c’était… On ratait rien quoi !
K : Quel type de mère êtes-vous ?
Ah je suis une mère fidèle moi ! Je suis une mère fidèle, ça va, ouais. Je suis une mère bien, hè !
K : Aujourd’hui quelle est votre relation avec votre mère ?
Heu, mère et copine et tout… tout à la fois : confidente, tout, hè !
K : Quel type de mère était votre maman ?
C’est une bosseuse, elle a toujours travaillé ; pendant quarante-cinq ans elle travaillait. Et elle avait neuf petits. Bon, nous, on voulait pas que elle s’occupe de nous tous, on a préféré rentrer dans une maison d’enfants, et on a signé jusqu’à l’âge de vingt et un ans. Et après, bon, ma mère on l’a laissée continuer son travail sans qu’on soit tout le temps stressés derrière elle. Je veux dire, on l’a laissée, on a voulu qu’elle fasse quelque chose aussi, qu’elle arrive à quelque chose pour elle aussi. Voilà.
K : Pouvez-vous revenir sur votre vie en foyer ?
Dans le foyer, quand j’étais à Chanterelle, maison d’enfants ? J’avais douze ans, jusqu’à l’âge de vingt ans. J’étais bien, ils m’ont bien accueillie, c’était ma deuxième famille en quelque sorte, et ils se sont bien occupés de moi. J’avais tout et il me manquait de rien, voilà ! Si c’était à refaire, je le referais toutes façons hein. Parce que j’avais une copine ce matin, une ancienne copine de Chanterelle - où est-ce qu’on a vécu, on a grandi ensemble - on était en train de discuter au snack et ça nous a fait plaisir à tous les deux et on s’est dit : "Bè si c’était à refaire, on le refera." Parce que on était bien, on avait la belle vie, il nous manquait rien, et on était bien soutenues surtout. On était bien prises bien en main.
K : Aviez-vous un modèle féminin ?
Oui, oui, j’étais une femme d’exemple, parce que le directeur franchement il a toujours voulu qu’on réussisse dans notre vie. Il nous l’a même dit quand on était jeunes : "On voit que vous, les deux sœurs, là - parce que j’avais une sœur qui était avec moi - vous êtes des femmes que vous voulez réussir et je suis sûr que vous allez réussir." Et j’étais suivie jusqu’à que j’aie fait mes vingt ans. Après bon quand ils ont vu que j’avais tout - j’avais ma maison, j’habitais à la rue Sénac à vingt ans - j’avais tout ce qui me fallait, le travail - j’ai encore ma fiche de paye de vingt ans, je l’ai gardée, souvenir - j’avais la belle vie… Ah ! Ouais, la vérité : j’avais la belle vie, j’étais bien, j’étais heureuse. Franchement il me manquait rien du tout. Ça m’a servi dans la vie là où j’étais. Et ça me sert encore aujourd’hui.
K : Le fait d’être mère à votre tour a-t-il changé votre regard sur votre mère ?
Pas du tout, c’est resté toujours ma maman et je l’aime toujours et malgré, bon, qu’on a pas grandi avec elle, mais j’ai toujours aimé ma mère hè. Ah ! Ma mère c’est une femme qu’elle a l’esprit ouvert, elle a l’esprit large. Elle était en Algérie, elle est venue ici en France en 64. Bon, nous on est restés là-bas. Après elle a dit à mon père : "Il faut les faire rentrer, les filles." Elle se ressentait plus de retourner en Algérie. Mais je sais que ma mère on l’aime hè, on est tous avec elle, que ça soit les garçons ou les filles hè. J’ai des frères et sœurs qui sont mariés, qui ont leurs enfants, et ils sont heureux, et ça va ; ils sont bien. Chacun il a réussi dans sa vie. Malgré qu’on était neuf, bè on a tous réussi, hè. Voilà. Et malgré qu’on a nos enfants, nos maris, on est toujours entourés avec elle.
K : Quel est votre parcours professionnel ?
J’ai commencé à l’âge de seize ans, moi, à travailler. Parce quand j’étais jeune je faisais l’école et je faisais les stages ; après j’ai quitté complètement l’école et j’ai commencé à travailler quand j’étais à la maison d’enfants. J’ai fait de la coiffure, j’ai travaillé chez les jeans Bogaert, j’ai gardé les enfants, j’ai travaillé dans une maison d’enfants là où j’ai grandi. J’avais pris un contrat, je travaillais que à l’entretien et on créait des choses avec eux : on a ouvert une radio qu’on avait inventée moi et ma sœur, ça faisait partie de Chanterelle. Enfin, j’ai fait pas mal de choses hè. Maintenant je travaille dans un snack restaurant, ça va. C’est moi qui me l’a créé moi-même, c’est moi qui l’a fait. C’est moi qui l’a loué, c’est moi qui l’a investi, c’est moi qui a tout fait quoi. Oui oui, c’est moi.
K : Comment conciliez-vous travail et vie familiale ?
Ah, il faut avoir du caractère hè. Mais ça tire de ma grand-mère ça. Je crois que j’ai vraiment du côté de ma grand-mère moi tout ça. C’est ma grand-mère elle faisait tout, bon quand elle était en Algérie elle nous avait élevés. Quand on était petits, tout bébés, elle s’occupait de nous et en même temps elle allait chanter. Parce qu’elle était chanteuse aussi ! Les gens d’avant ils la prenaient dans les mariages et tout. Et elle s’occupait en même temps de nous. Et ça c’est ma grand-mère, ça. Et je suis comme elle, hè.
K : Quelle est votre vision du couple ?
Ma vision du couple, heu… Je sais que moi on est bien. Je sais qu’on va finir jusqu’à la fin moi et lui. La façon comme c’est parti, je veux dire… on restera toujours ensemble, y’aura pas un changement hein, on restera toujours comme ça, mais je sais qu’on ira jusqu’à la fin comme ça.
K : Que vous apporte votre mari ?
Ah ! Tout. Tout. Malgré que, bon, lui il est venu… rentré jeune : il avait seize ans. Il est pas d’ici, il est de la Tunisie. Je l’ai connu ici, je l’ai connu sans rien, voilà. Et moi, je pense que mon mari il ira jusqu’au bout avec moi.
K : Dans le couple, qui gère le budget ?
C’est moi et mon mari, tous les deux, on fait tous les deux ça, ouais.
K : Qui s’occupe des tâches ménagères ?
La maison c’est moi, le ménage tout ça, tout ce qui est entretien de la maison ; mais tout ce qui est bouffe tout ça, c’est mon mari qui fait les courses, qui achète. Pour les enfants c’est pareil, les vêtements c’est mon mari, pour les gosses… On partage. Mon mari aussi, c’est lui aussi qui fait tout hè, il s’en occupe, et il s’occupe du bébé aussi hè.
K : Qui gère l’éducation des enfants ?
Hè bè, c’est tous les deux, hè.
K : Faites-vous une différence, en terme d’éducation, entre les filles et les garçons ?
Non, je fais pas la différence, non.
K : Croyez-vous à la complicité mère-fille ?
Mère-fille ouais, y’a de la complicité ouais. Des fois y’en a de ça, et c’est vrai ça. C’est la vérité.
K : Êtes-vous une femme indépendante ?
Ah oui, je suis indépendante, malgré que je suis mariée, mais aussi je suis indépendante. C’est-à-dire, moi et mon mari, on a l’esprit large, on a confiance mutuellement. Je veux dire entre moi et lui on a la confiance ; dès le départ on a ouvert la confiance moi et lui, quoi.
K : Cette indépendance, comment l’avez-vous acquise ?
Mon indépendance, je l’ai gagnée si je vous dis c’est rapport à ma grand-mère ; c’est ma grand-mère, c’est ma grand-mère, c’est ma grand-mère. Moi je vous dis ma grand-mère elle a toujours été autoritaire, elle a toujours été là, elle est toujours présente, elle est… Moi je crois que je tire un peu de ma grand-mère. Elle était forte, indépendante, et elle avait tout ce qu’elle voulait. Et puis c’était une belle femme hè, je vous le dis. Ah oui elle est… C’est une femme toujours présente. Et oui, elle a toujours été comme ça. Moi je crois que je tire de ma grand-mère.
K : Et en ce qui concerne le travail ?
Oui, oui. Tous les deux, on est patrons, voilà… Mon travail, il est reconnu, exactement, ouais. Il est reconnu même par les impôts aussi, hè. On paye aussi les impôts.
K : Avez-vous votre permis ?
J’ai mon permis, ça fait six ans que je l’ai.
K : Avez-vous un portable ?
J’ai le portable, tout, j’ai tout, je suis la plus heureuse des femmes.
K : Avez-vous rencontré des difficultés particulières en tant que femme ?
Non, j’ai pas… non. Non ; alors pas du tout.
K : Quelle est votre vision de la femme d’aujourd’hui ?
La femme d’aujourd’hui ?… Ceux que je connais ou… ? Bè oui, moi je vois la femme indépendante, libérée. Faut qu’elle soit sûre elle-même déjà, et beaucoup de confiance en elle déjà, et en principe ça doit marcher pour la femme. Mais si elle a pas confiance en elle, et si elle est pas sûre de elle-même… je sais que y’a rien qui marche. Mais c’est comme ça, c’est…
K : Y a-t-il une égalité entre les hommes et les femmes ?
Ah ! oui, y’a une égalité. Et oui ! Maintenant la femme, elle peut faire tout ce qu’il fait l’homme. Moi je suis d’accord sur ça.
K : Que pensez-vous du divorce ?
Oh, c’est quelque chose qui est pas agréable. C’est pas bien. Moi je dis ça parce que c’est rapport aux enfants. Parce que, après, c’est les enfants qui subissent heu… Voilà, ils subissent beaucoup de mal, après, les enfants. Après ça risque de leur retomber dessus. Après c’est eux qui quand ils se marient, ils ont des conflits par la suite eux aussi. Moi j’aime pas ça, j’aime pas le divorce.
K : Quel est le rôle de vos amies dans votre vie ?
Moi, c’est des copines d’enfance que, bon, je les vois rarement, des courants d’air… Mais comme j’en ai vu une ce matin - d’enfance - on se connaît bien bien et on peut discuter sur tout. Mais, sinon, ceux de maintenant là, je me prends pas la tête avec eux. Je vous dis la vérité hè : je vais pas me prendre la tête avec eux parce que des fois ils te racontent n’importe quoi.
K : Existe-t-il une solidarité féminine ?
Oui, mais ceux d’avant que j’ai connues ; mais ceux de maintenant ils sont un peu trop difficiles, ils te compliquent la vie. Voilà. Moi j’aime pas ça.
K : Comment vivez-vous votre féminité ?
Hè ben, je la vis bien hein. Moi je sais que je la vis bien.
K : Êtes-vous coquette ?
Oui, je prends soin de moi, quand je veux vraiment me mettre… Ah ! Oui. Et je peux aller chez le coiffeur, je peux me faire des mèches, je peux me maquiller, mais pour moi c’est pas un problème tout ça, hè. C’est des choses faciles pour moi ça. C’est trop facile. Maintenant, si je sors, je peux me faire une belle coiffure, je peux me mettre sur mon trente et un aussi. Mais moi je sais que je pense beaucoup à mes enfants, je veux que mes enfants ils réussissent ce que j’ai réussi moi. Et les autres choses, pour moi, ça peut venir comme au jour au lendemain, hè. Voilà, c’est des choses faciles pour moi ça, c’est pour ça que je m’en prends pas la tête non plus.
K : Quel temps consacrez-vous aux divertissements ?
J’ai le dimanche pour moi, oui bien sûr, j’ai le dimanche pour moi. Des fois j’emmène mes enfants chez ma famille à moi, je les fais sortir, ils sortent ; ils veulent aller au cinéma, ils y vont, ils veulent aller à la piscine, ils y vont…
K : Et vous ?
Bè moi aussi hè. Et oui. Je peux aller au restaurant avec mes enfants, je peux… Je suis libre, hè. Je suis pas une femme qui est enfermée. Même mon mari, il me dit : "Tu es libre, tu peux sortir, tu as les enfants. Va au restaurant, va…" Je vais au hammam, j’y étais dimanche ! J’ai amené mes enfants, j’ai amené la fille de ma petite nièce. J’ai même des enfants qui viennent chez moi, que eux-mêmes ça leur plaît de rester avec moi ; ils adorent ça. Moi, j’aime beaucoup les enfants toutes façons, hè.
K : Quels sont vos projets ?
Hè bè, de… d’avoir une bonne retraite. Mes projets c’est que après quand j’arrive à… C’est à soixante-cinq ans, là, qu’on a sa retraite ?… Pour prendre une bonne retraite, une fois que mes enfants ils sont bien, voilà.
K : Quel message adressez-vous aux femmes ?
Qu’est-ce que je peux leur dire aux femmes… Les femmes d’aujourd’hui ? Heu… qu’ils essayent de garder la tête sur les épaules, voilà, et qu’ils soient ouverts, que ils se prennent pas trop la tête non plus. Voilà.
Propos recueillis le 06/09/06 par Odile Fourmillier ; SR : Patricia Rouillard ; image d’archives.
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