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Les vivants d'argile du Cabanon des Accoules - Au travail ! - L'enfance de l'art - La revue du témoignage urbain

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Les vivants d’argile du Cabanon des Accoules

L’histoire d’un maître santonnier du Panier

« Plutôt timide et secret, enfant j’étais souvent tout seul. Et avant même de faire des santons, quand j’étais très petit, six, sept, huit ans, à l’époque on m’offrait à Noël - je sais pas si ça existe toujours - de la pâte à modeler, et je faisais sur une table un imaginaire d’animaux. À l’époque - vous pouvez pas connaître ça - c’était la mode des indiens et des cow-boys. Moi, j’étais toujours pour les indiens. Et je faisais des petits personnages, des ours, et cætera et je me faisais un imaginaire. Donc en réalité, avec les santons je continue. » André-Martial Robbe, 65 ans, maître santonnier marseillais.


 

Koinai : "Santonnier", c’est un métier ?
Ouais, c’est un métier. Les santonniers fabriquent deux sortes de santons, les santons habillés, et les santons dits "de crèche", d’argile. Les santons habillés que tout le monde connaît sont devenus des santons de décoration et d’ameublement, et ils descendent directement des santons d’église du XIIe-XIIIe siècle, à l’époque de Saint-François d’Assise. C’est lui qui a créé, disons, ce concept de la crèche. La différence entre la Provence et les santons italiens, c’est que les Italiens n’ayant pas eu de révolution - bien entendu française, entre guillemets - eh bien, les santons sont toujours restés dans les mains des grands artistes, et, quand un santonnier italien fait un santon, il va jusqu’au bout de sa compétence qui est une merveille. À l’inverse des santons italiens, les santons que l’on voit en Provence, ces petits santons d’argile, eux, viennent de la Révolution française. Ils sont censés être faits par le peuple. Les santonniers de Provence ont donc une vocation différente : ils sont censés représenter le peuple ; le peuple, c’est des petits objets populaires, simples, donc le problème il est que vous arrêtez un moment où le petit objet il est toujours naïf, même si vous êtes très compétent.

K : Quel rôle joue la Révolution française dans l’histoire du santon ?
À la Révolution française, les curés chassés, les aristocrates coupés en deux et les églises fermées… En conséquence, tout le peuple de Marseille n’étant pas des révolutionnaires, certains voulaient quand même continuer à fêter Noël, et comme les églises étaient fermées, ils ont inventé la crèche familiale. Et donc ils sont allés chercher de l’argile à Saint-Henri, à l’Estaque, qui est sur le bord de la mer à Marseille ; là-bas, y avait des tuileries, pour faire les tuiles des toits. Ils ont ramené un peu d’argile, ils ont créé de petits personnages, et ils faisaient la crèche bénie par les prêtres réfractaires. Et, quand Noël était passé, ils se dépêchaient de casser les petits santons pour ne pas se faire attraper par les comités révolutionnaires. Quand le droit de culte est revenu, sous l’Empire, la Restauration, le Concordat, et cætera, les gens n’avaient plus besoin de se cacher, et donc ils ont trouvé que les santons de famille pouvaient continuer cette tradition. À ce moment-là, bien entendu, y avait plus de petits santons, puisqu’ils les avaient cassés pour la plupart, et ils avaient pas tous, entre guillemets, un certain don pour faire des petites figurines, donc ils ont dit : "puisque maintenant on va dans la durée, on va demander à des gens plus compétents de nous faire de jolis petits santons", entre guillemets. Donc, la licence de ma profession de santonnier de crèches en Provence date de vers 1800, au moment où le droit de culte est revenu.

K : Un artisan se distingue-t-il déjà à ce moment-là ?
Le meilleur d’entre nous à cette époque-là, s’appelait Jean-Louis Lagnel. Lorsque Jean-Louis Lagnel a commencé à créer les santons, vers 1800, il a créé plusieurs types. Ils sont de différentes formes, de différentes tailles, il a créé les bras rapportés ou les multiples qui sont les santons qu’on met devant. Mais ça on peut revenir à l’explication toute à l’heure. Ce Monsieur a été en activité santonnière de 1790 à 1820-1822. Il est né au Panier, il est mort au Panier ; et donc dans cette trentaine il a travaillé ici au Panier, à l’angle de la rue. Et donc si nous nous sommes installés dans ce coin, c’est pour continuer, et pérenniser la mémoire de Lagnel. Donc, l’origine des santons d’argile, c’est Marseille, c’est le Panier. Donc la capitale des santons, entre guillemets, c’est nulle part ailleurs que le Panier. Voilà !

K : En référence à quoi le nom de l’entreprise : "Le Cabanon des Accoules" ?
Au lieu "Les Accoules", parce que c’est la montée des Accoules, le "Cabanon", c’est parce qu’à cet endroit-là, dans les années 1900, c’était un lieu de passage, et toutes les vieilles dames, à partir de dix-sept heures le soir, en été, prenaient leur siège avec elles et venaient toutes se donner rendez-vous, là, en bas des escaliers et quand elles se rencontraient, "Bon, à toute à l’heure au cabanon". Et donc j’ai continué à trouver ça très joli, et donc, je l’ai appelé "Le Cabanon des Accoules".

K : Quel est votre souvenir le plus lointain lié à cette activité ?
Donc le plus lointain, c’est pas facile à dire, parce que nous, ça fait quatre générations de santonniers dans la famille. Donc, si vous voulez, y a pas de plus lointain. Je suis tombé dans le bain, et bon, j’ai toujours fait ça, ça m’a toujours plu, je sais pas quoi faire d’autre, et puis j’ai pas envie de faire autre chose. J’ai un fils qui va me succéder. J’ai deux petits fils qui vont continuer et qui sont passionnés. Du reste, c’est un problème, ils aiment tellement ça, ils foutent rien en classe, je vais faire de la répression pour qu’ils continuent, mais enfin, j’espère qu’après ils auront plus de conscience.

K : Qu’est-ce qui a motivé votre choix pour ce métier ?
Comme je vous l’ai dit dans la précédente question, c’est même pas une motivation, c’était normal d’aider les plus âgés à faire des santons. Quand y avait un coup de feu, pour la Noël, et cætera. Bon, maintenant c’est vraiment devenu une vocation. Lorsque vers treize, quatorze ans, autour de moi on appréciait mon travail, que j’ai pris conscience de ce que je pouvais faire en faisant des rapports avec les autres, voir ce qu’ils faisaient, un petit bond et j’ai continué avec passion.

K : Qui les santons représentent-ils ?
Normalement, les santons, ce sont des vivants. C’est-à-dire un santon qui n’est pas peint n’est pas un santon : c’est une statuette qui n’a son titre de vivant que lorsqu’il est peint. Ça symbolise le présent, et en Provence, vous avez une conception particulière. Tous les chrétiens du monde, au moment de Noël font la crèche et la plupart ne font que la crèche dite biblique, avec tout ce qu’elle peut comporter : Vierge Marie, Saint Joseph, les Rois-Mages, et c’est tout, entre guillemets. Tandis qu’en Provence, à cause de la révolution, le Concordat, et cætera, à côté de la crèche biblique on a mis la société provençale. Et du coup, ça se déploie dans des temps différents, très jolis. Que la crèche biblique, c’est le monde de Dieu, c’est-à-dire la permanence, la figurance, l’éternité, plus grand par la naissance d’un enfant et ce que ça peut représenter de miracle. Et à côté il y a la société provençale qui se déploie, elle, dans le passé, le présent, le futur. Et les santons se déploient, ce sont des vivants, ça représente le présent, sauf deux petits personnages qui sont des adorants, qui sont à genoux, qui eux, symbolisent le passé. Et quand on fait la crèche dans la tradition, avant tout, on faisait toujours ces deux petits personnages qui, lorsque vous les avez posés, convoquent votre grand-mère, qui, elle, est morte il y a vingt ans ; elle est vivante à nouveau. Le tonton qui est parti faire fortune en Cochinchine ou au Tonkin, il est vivant aussi. Ça : passé et présent. Le futur, il est représenté par le petit ravi qui lui, si vous connaissez, a les bras en ravissement de l’événement. C’est lui qui a la conscience la plus grande de ce qui se passe ; la croix, son corps est en croix, une sorte de Christ terrestre. Quand l’enfant est né, dans la crèche, vous le posez pas loin. Dieu l’éclaire par l’arrière, l’ombre portée forme une croix qui se pose sur l’enfant et la forme de son futur. Alors forcément, le Christ, c’est son futur. Mais c’est une parabole, et vous voyez : vous avez la vérité au milieu de vous, et vous ne la voyez pas !

K : Comment choisissez-vous les vêtements des santons ?
Ça, les vêtements, c’est une convention entre tous les santonniers. Puisque ce sont des vivants, normalement, chaque santonnier de sa génération devrait habiller les santons comme ils sont. Mais il y a une convention entre tous les santonniers depuis 1800, c’est que si on fait les habits de son époque comme vous êtes habillé, disons vulgairement "ça mettrait une sorte de bordel dans la crèche", puisque chaque génération... En conséquence, notre convention : nous faisons des vivants mais nous les réhabillons toujours entre 1820 et 1860. Ce qui donne une ambiguïté, si vous voulez, parce que les gens qui nous connaissent pas, voyant qu’on habille ces santons comme à la traîne, que c’est le passé, ils croient que notre activité santonnière décline. Pas du tout : C’est très très vivant. Surtout pour le haut de gamme. Pour le bas de gamme, ils sont concurrencés avec les santons de plastique, et cætera, et ils disparaissent. Pour le haut de gamme, où c’est un artisanat d’art, entre guillemets, c’est toujours très très très vivant.

K : Est-ce que vous renouvelez vos modèles ?
Alors, la question ne se pose pas puisque les santons, ce sont des vivants. Tous les santons sont acceptés dans la crèche, même les nouveaux. Il y a une création constante : avant y avait pas d’informaticiens, y avait pas… je sais pas, je suis en train de chercher... Et en conséquence, tout est possible, dans la crèche. Et comme on est quand même liés au commerce, chaque année, les santonniers proposent des nouveaux petits sujets, et c’est le public qui décide. Ça fait qu’il y a des santons qui vont rester comme des intangibles, et les autres vont disparaître. Vous avez par exemple, un santon qui s’appelle "La dame au calen". Le calen, c’est une lampe à huile. Cette dame, elle fait partie de l’origine des santons. C’est-à-dire, l’histoire est la suivante : "Y a eu une grande peste à Marseille, dans les années... Bon, je me rappelle plus, 1750 ou et cætera et une dame très riche s’est dépensée sans compter pour aider tous ces pauvres gens qui étaient en train de mourir. Ça a tellement marqué l’imaginaire populaire que la dame des calens est restée dans les santons. Là, j’ai fait, il y a trois ans, le pèlerin de Saint-Jacques...

K : De Saint Jacques de Compostelle ?
Et bien, ça a l’air de prendre. Il est pas dit, avec un peu d’humilité, que ce santon reste au moins pour une trentaine, ou une quarantaine d’années dans l’imaginaire collectif. Et que si on n’a pas son pèlerin de Saint Jacques dans la crèche, il y a quelque chose qui manque...

K : Et avec qui avez-vous fait vos premiers pas artistiques ?
J’ai pas fait de premiers pas artistiques. Premièrement, je ne revendique pas à être un artiste. Je suis un artisan. La différence entre un artiste et un artisan : un artiste, il fait des œuvres successivement, et toujours différentes, un artisan, c’est celui qui va mettre au point un projet, et qui va le répliquer pour faire qu’il soit à la vente au plus grand nombre. Alors maintenant, si je suis un bon santonnier, je peux frôler un peu l’artiste, mais je revendique pas plus.

K : Est-ce que vous avez suivi une formation particulière ?
J’ai pas suivi de formation particulière. C’est plus facile que ça, si on veut. Étant donné que j’étais dans le bain, que toute la famille faisait ça, j’avais juste à reproduire ce que les autres faisaient. Avec un peu d’esprit de compétition en disant : "Je veux être le meilleur" plus un petit peu de don, fait qu’à un moment donné, je suis ce que je suis, mais y a pas, y a pas...

K : Y’a pas de formation particulière ?
Non, pas pour moi, et pas pour les santonniers qui travaillent, si vous voulez, par famille, par clan. Il y a pas d’école, et j’en suis très content, parce que les écoles de faïenciers et cætera c’est très très beau mais ce sont de véritables parkings à jeunes gens. Des générations… Trente jeunes vont suivre un cursus pendant trois ans et comme le marché n’a pas besoin de trente jeunes d’un coup, parce que c’est un marché relativement restreint, c’est une catastrophe : y en a que deux qui trouvent du travail et les autres continuent dans d’autres voies à chercher à nouveau du boulot. C’est pas bon, ça. Donc, le problème il est que pour les santonniers pour l’instant, pas d’école, on apprend au sein des familles. La sélection est féroce c’est-à-dire que quand quelqu’un se présente pour venir apprendre avec nous, si il est bon, on le garde, après il fera sa vie comme il l’entend, sinon, si il est pas bon, il est éliminé. Ou il fait, si il veut quand même rester, il va faire une tâche mineure. Voilà ! Maintenant, on est bien d’accord, j’ai des heures de vol, en conséquence, avec le temps qui passe, et l’imaginaire de mon clan, j’emporte l’imaginaire, je raconte une histoire, et les autres adhèrent ou n’adhèrent pas. Et donc on travaille par famille ou par clan, et les clans, comme dans la tradition ancienne, se font des alliances, se font des mésalliances, et cætera et donc, tous les santonniers se connaissent.

K : Avez-vous fait des sacrifices pour y arriver ?
Non. Par rapport à ce que je vous ai développé, déjà comme idée, j’ai pas fait de sacrifice, j’étais dedans. Vous savez bien ce que c’est qu’une entreprise : des fois on n’a plus la vision, on n’a plus l’envie, et si ça, pour continuer ou pérenniser une entreprise, ça s’appelle faire des sacrifices, je veux bien, alors y’a eu des sacrifices.

K : Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Nous sommes dans un bain culturel : à Marseille, que l’on soit laïc ou croyant, tout le monde fait la crèche. Comme je vous disais toute à l’heure, entre l’artisan et l’artiste : un artiste va souvent aller chercher, en dehors du lieu collectif, des objets de composition d’après des œuvres d’art ; nous, en tant qu’artisans, et surtout la crèche, l’imaginaire de la crèche... C’est un métier d’avenir, pas du tout un métier passéiste. Il est à mon avis... je cherche le nom, je le trouve pas, tant pis… : une sorte de pilier de la société dans l’imaginaire.

K : C’est une coutume.
C’est plus que ça. Lorsqu’un laïc fait la crèche, dans sa conception, c’est un moment de société démocratique idéal, où les valeurs de respect, de partage, de tolérance sont exprimées. Il peut même faire la crèche sans tenir compte de la cause biblique. Les chrétiens, on sait bien ce que ça peut être. Mais ce dialogue entre les deux mondes est très beau. Mes sources d’inspiration, comme je le disais toute à l’heure, c’est un bain culturel, je suis pas à refaire un autre monde, je suis dans un monde qui existe depuis tout le temps, qui se renouvelle, qui fait de nouvelles propositions. Mais j’ai juste, si je veux minorer cette inspiration, j’ai juste à proposer, à continuer à faire le mieux possible les santons qui sont déjà proposés, puisque ce sont des moules, de les reproduire, de faire le mieux possible et chaque année de reproduire des propositions différentes. Voilà !

K : Avez-vous eu un maître en la matière, quelqu’un qui ait été votre source d’inspiration ?
Source d’inspiration ? Non. Mais admiration, certains santonniers, oui ! Et quand j’ai pris la décision d’être à mon tour maître santonnier, c’est parce que j’avais de l’admiration de certains santonniers qui sont les plus grands de leur génération. Et j’en ai pris copie. Avec l’idée bien déterminée de faire aussi bien qu’eux. Voilà.

K : Quelle était votre toute première réalisation et pour qui ?
J’ai pas eu de première réalisation, je vous ai dit toute à l’heure, ça s’est fait, dans mon cas, une façon automatique puisqu’au départ j’étais dans une famille de santonniers. Vous vous occupez pas de faire le santon, vous faites une partie du santon : vous faites le petit panier, vous peignez le socle, et cætera, et après, hop ! vous faites une réalisation ; mais ça se fait dans la progression et dans la durée.

K : Quel type de clientèle rencontrez-vous ?
Je parle pour Marseille. Il y a, bon, on a un pic de ventes pour Noël, toute notre organisation est tournée à Noël, où il y a la société entière qui est tellement organisée dans cette compréhension qu’elle est demandeuse, elle fait des expositions et cætera. Donc là, à l’endroit où je suis placé, près de la Vieille Charité, dans le vieux quartier de Marseille, je déploie deux propositions : d’abord la crèche de Noël - avec toutes les ventes-expositions à l’extérieur - et dans notre magasin. Puis comme je suis dans un quartier dit touristique, je propose toute l’année des sujets aux croyants et aux laïcs et les laïcs, ils m’achètent des petits santons pour mettre dans une vitrine et les garder dans la vitrine. Il y a confusion, il y a pas mieux ou moins bien : y en a qui viennent, bien sûr, pour l’objet religieux, et puis d’autres pour le coup de cœur, parce que c’est un joli petit objet.

K : Votre activité vous a t-elle entraîné vers d’autres contrées ?
Oui, c’est plutôt une promenade dans la tête, pour moi. Les santons dits d’argile, de crèche, c’est vers 1800, mais y en a eu bien avant la Révolution des santons : y avait des santons en mie de pain, des santons en carton, et cætera… Et, ces santons, ce qu’ils m’ont confirmé : c’est pas de me déplacer, c’est de rester sur place en regardant les autres. Et par le fait, vers 1800, les santons étaient pas cuits, donc faire un petit sujet était très fragile, et le déplacer amenait des conséquences de casse. Donc au début, c’était simplement une diffusion locale. Vers 1850-1900, on a commencé à cuire les santons. Donc ils étaient solides, on a pu les envoyer plus loin. Donc ça a été une diffusion régionale. Et maintenant, c’est devenu une diffusion hexagonale. Et avec internet, et cætera, par l’amplification de cet instrument de connaissance, ça fait que le monde entier achète des santons. Et du coup, y a pas besoin de se déplacer, on vient à vous, pour les chercher. Par contre après, ça c’est suivant l’imaginaire du santonnier, au niveau de l’information, de regarder ce qui est le mieux, et cætera, et à ce moment-là de les intégrer. Il y a une telle force, dans l’imaginaire des santons de Provence, déjà à eux tout seuls...

K : Où rencontre-t-on les santonniers ?
Beaucoup de santonniers sont structurés commercialement de manière à n’avoir qu’un atelier, généralement dans leur maison, c’est pour ça qu’on les voit pas. Au moment de Noël, ils font les foires-expositions et alors, là, on les voit. Je sais pas, ils vendent peut-être par internet aussi, c’est possible. Et puis vous avez quelques santonniers qui eux ont un atelier et un magasin ou un local de vente ou de représentation. Nous, nous sommes dans ce cas. Mon atelier de fabrication, il est plus bas dans la rue, à cinquante mètres d’ici.

K : Pouvez-vous vivre de votre métier ?
J’en vis modestement. Avec le temps, maintenant, on est affermi : je gagne pas des mille et des cents, mais quand on aime quelque chose… Je veux dire, je sais pas quoi faire d’autre et puis c’est ma passion, c’est ma vie, et même si je gagne peu d’argent, on se le partage et on vit.

K : Comment communiquez-vous sur votre activité, pub, radio, et cætera ?
Ouf ... ! À ce niveau-là, c’est une prétention de vous dire ça, mais quand vous faites du bon travail, c’est pas vous qui allez à la communication, c’est les gens, à cause de la tradition des santons, qui viennent vous voir, vous en êtes l’exemple le plus probant : vous êtes venu demander. Voilà !

K : Vous a-t-on déjà demandé des objets insolites ?
Oui oui. Mais de toute manière, on fait que me demander des objets insolites, parce que jusqu’aux années 1980, nous étions six ou sept familles à fabriquer ce qu’on appelle les santons à bras rapportés ou les multiples, qui sont des santons dont le corps est moulé tout seul, et à la barbotine, c’est-à-dire l’argile plus liquide, on ramène les bras qui sont moulés aussi ; on fait, on fabrique tous les petits objets, les paniers, les chapeaux et cætera... Ces santons sont de plus grande taille, et ce sont ce qu’on appelle : "les vrais santons de Marseille". Et dans la tradition, ces santons-là sont achetés par les vieilles familles de Marseille, les gens aisés. Ils les mettent devant, ils font la crèche devant, avec. Et quand les chefs de clans sont morts de vieillesse, les héritiers n’ont pas repris, ça fait que nous sommes pratiquement plus qu’à trois familles à les fabriquer, entre guillemets, en trop grande quantité : moi je ne sors jamais d’ici, je suis ce qu’on appellerait un santonnier ermite. Donc les jeunes générations ne connaissent pas ces grands santons, il ne reste plus que les santons dits "de fond", moins chers et qu’on vend sur les foires, que tout le monde connaît, qui sont moulés en une fois, qui ont différentes tailles. Pourquoi les appelle-t-on santons dits de fond ? C’est parce qu’au XIIe-XIIIe siècle, c’est la Renaissance flamande, italienne, française et cætera, c’est toutes les recherches sur la perspective, et que les santons n’ont pas échappé à la spéculation de cette époque : le petit, vous le mettez derrière dans le jeu de la perspective, et le grand vous le mettrez devant. C’est pour ça qu’on a des santons de différentes tailles. C’est pas parce que, comme les générations de maintenant, les jeunes générations, ont d’une façon obsessionnelle de faire la collection de sept centimètres… C’est nul ! Un santon ça s’achète sur un coup de cœur.

K : Qui sont vos collaborateurs ?
Je vous ai dit toute à l’heure qu’on travaillait en clans, en famille. Vous avez dans la structure de notre artisanat le processus de la chaîne de fabrication, comme pour faire des voitures et autres ustensiles de cuisine. Le maître santonnier c’est celui qui maîtrise, bien entendu, du début jusqu’à la fin, le processus. Donc au départ vous avez l’argile, c’est la matière brute. Donc, au départ, le maître santonnier va faire une petite sculpture, qu’est souvent en argile molle et re-travaillée, et remis à l’humidité pour retoucher et cætera. Ensuite, on fait le moule autour de cette petite sculpture. Dans la déontologie de la profession, les santons doivent être d’argile et les moules de plâtre ; lorsqu’on va couler les deux coquilles autour du petit santon - le petit prototype d’argile - le plâtre est mou et délite, tout en solidifiant. Lorsque le plâtre est sec, on ouvre le moule, le petit sujet est mort, et donc c’est le plâtre, c’est le moule qui sert de référence. C’est ce qu’on appelle "un moule mère". C’est un moule coque que l’on met dans une bibliothèque, comme un ordinateur, la mémoire . Ce moule va servir à répéter d’autres moules. Et les autres moules ont leur gorge d’évacuation pour mouler le santon. On laisse sécher le petit santon qui sort du moule, on le travaille, on le nettoie, on le fait sécher, et comme c’est trop fragile, on le cuit. Une fois qu’il est cuit, on le décore, soit à la gouache, soit à la peinture à l’huile, soit à la gouache des nouvelles techniques d’aujourd’hui, voilà. Voilà le processus de fabrication. Et donc en fonction de la surface de production de votre entreprise, si vous êtes tout seul, vous êtes du début à la fin de la chaîne de fabrication, mais à partir du moment où vous commencez à fabriquer beaucoup suivant vos ventes, vous avez, eh bien : le mouleur, vous avez le maître santonnier qui va créer le petit sujet, le mouleur, celui qui crée le moule, et vous avez ceux qui moulent les santons. Puis après, vous avez les décorateurs, et après vous avez tout le processus commercial autour.

K : Vous n’avez pas eu de difficultés particulières ?
On a toujours des difficultés, mais, bon, c’est comme ça. Dans un jeu d’imaginaire, c’est peut-être l’inverse qui se passe. La difficulté n’est pas d’aller ailleurs - c’est très facile de partir d’un lieu et d’aller ailleurs - c’est d’accepter avec intelligence les événements.

K : Quelles sont les contraintes liées à votre activité ?
Ben, les contraintes sont toutes les contraintes d’une entreprise, savoir gérer, avoir le cash-flow, pérenniser l’entreprise, comme dans toute autre entreprise. C’est une entreprise même si on est seul.

K : Quelle est l’évolution du site et de la production ?
Elle est, dans l’objectif de notre famille, en fonction des dons successifs des santonniers, notre objectif, c’est de monter en très haut de gamme. Ça c’est notre objectif et donc, si c’est réussi, de toute manière, c’est immédiatement sanctionné par la clientèle. Elle n’hésitera pas à payer très cher un joli petit santon. Voilà !

K : Et vous avez un souvenir de la plus belle réalisation ?
Et bè, la plus belle réalisation, c’est lorsque l’un d’entre nous, entre guillemets a la sanction de la société, c’est-à-dire premier ouvrier de France. Il y a un concours. Et chaque année, tous les métiers sont concernés, tout l’artisanat : y a un premier ouvrier de France dans la cuisine, dans la chaudronnerie, dans la menuiserie et cætera. Donc nous aussi, notre profession est très structurée vers ce but. Et on pourrait considérer que si vous êtes un très bon santonnier, eh bien vous êtes jugé par vos pairs, par cette opération.

K : Ça vous est arrivé, d’avoir un ratage ?
C’est facile. On peut pas les voir, parce qu’on les casse immédiatement. On le voit, et y a assez de regard sur votre travail pour savoir s’il est bon ou pas bon.

K : Que souhaitez-vous changer ?
Mon âge.

K : Vous n’êtes pas vieux.
Ça fait déjà pas mal de temps.

K : Ça fait combien d’années que vous travaillez ?
Toujours. J’ai toujours travaillé, à ce niveau-là. De toute manière, j’ai jamais compté. C’est encore plus évident aujourd’hui.

K : Que souhaitez-vous transmettre ?
La transmission, elle est pérennisée par le groupe, c’est-à-dire que certains sont plus compétents que dans d’autres et cætera. Et c’est tout le groupe qui porte la continuité. Simplement, il se dégage une ou deux personnes plus compétentes que d’autres et qui servent de leaders, sinon, c’est tout le groupe. C’est vraiment démocratique, entre guillemets.

K : Et en dehors d’internet, est-ce qu’il y a des publications sur les santons ?
Oui, c’est très très vivant, et y a des musées, des expos, des marchés : vous allez avoir la foire aux santons place Estienne d’Orves, pour Noël. Et à côté, y a la maison de l’artisanat. Et cette maison va faire - comme l’année dernière, où elle avait présenté une exposition des santons musiciens - là, elle va présenter les meilleurs santonniers. Donc je vais proposer une des crèches que j’ai déjà là, et qui sera exposée.

K : Une anecdote à raconter ?
Non. Ce serait trop long, ce sera pour une autre émission. J’en connais pas, si ce n’est que j’ai beaucoup de polémiques avec les santons, c’est l’histoire des hommes, entre guillemets, et donc, l’histoire qui est écrite et racontée c’est toujours l’histoire des gagnants, jamais des perdants. Donc l’histoire des santons elle est interprétée par les meilleurs. Disons qu’y a plein d’histoires dessous qui sont perdues, qui sont très belles, aussi, et qu’on connaîtra jamais. Ces petits personnages sont plus que ce que l’on croit. Ils sont la permanence du cerveau humain. De tous temps, ces petits personnages ont existé dans les différentes sociétés. Chez les Grecs, c’était les tanagra, chez les Égyptiens, c’était d’autres représentations. Cette chose-là est d’une éternité, et je ne suis qu’un petit bras à la continuité de cette éternité.

Propos recueillis par Étienne Barbier le 10/10/06 ; rédaction : Patricia Rouillard.

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