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Habitante de coeur, toujours... - Vis ma ville - La Viste de bas en haut - La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

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La Viste de bas en haut

Habitante de coeur, toujours...

Le quartier La viste vue par la présidente du Centre Social

Après vingt ans de bons et loyaux services, Maria Thieule liquidait les actifs de son tabac-presse. En résidence au 38 sur la même période, c’est une présidente du Centre Social avertie qui nous fait part de la situation du quartier, de la paupérisation de la cité et des différents clivages. N’habitant plus à La Viste aujourd’hui, elle reste attachée à ce quartier qu’elle aime, et dont le côté village où beaucoup de gens s’entraident malgré les difficultés, lui manque. Alors, elle y passe ses journées et oeuvre au quotidien pour plus de mixité !


Koinai - Pouvez-vous vous présenter ?

Maria Thieule - Je travaille au Centre Social avec Mounir, le directeur. C’est lui qui s’occupe de tout. Moi, je suis là pour arrondir les angles, de temps en temps, quand il a un petit problème. S’il y a un problème avec un élu, c’est de mon affaire, quand c’est pour le travail, c’est Mounir qui s’en occupe. C’est lui qui coordonne tout, et puis il m’en parle. On est un binôme qui s’entend bien, ça fusionne bien. Et moi, avec le reste du personnel et les habitants du 38, du fait que je les connais... Parce que j’avais le tabac presse, j’y suis restée vingt ans, donc tout le monde me connaît. J’habite à Bouc-Bel-Air, mais j’ai vécu pendant vingt ans plus au 38, que chez moi. J’arrivais ici à six heures du matin et je partais le soir à huit heures, donc je restais douze heures par jour, ici.

K. - Vous "faisiez partie" du quartier ?

M T. - Oui. Je suis partie, parce qu’on a eu des attaques à mains armées, et que ça m’a un peu refroidie. Alors, j’ai vendu. La personne qui l’a racheté est décédée. C’est un commerce qui marchait très bien, mais après y’a eu la succession, et ce commerce est mort. Ici, il y avait une boulangerie, une boucherie, y’avait tout. Seulement au fur et à mesure, vous avez tout qui s’enlève. Heureusement que vous avez l’épicerie qui sert d’appoint, qui sert même d’ami, parce que j’ai l’impression que tout le monde le connaît bien, et après vous avez le téléphone.

K. - Vous êtes originaire de la région ?

M T. - Moi, je suis née à Marseille. J’habite à Bouc-Bel-Air, parce que les terrains sont moins chers, c’est tout. Mais mon fils habite dans les quartiers nord, parce qu’il a été élevé ici, lui. Il a voulu acheter là, il m’a dit : "là, je serai dans les quartiers que je connais."

K. - Quelle impression avez-vous eue en découvrant La Viste, ? Qu’est-ce qui a changé depuis vingt ans ?

M T. - Les habitants, surtout. La population est plus précaire, alors automatiquement, vous avez des problèmes. Ici, ça a été fait en 62 je crois, ça a été fait pour les Pieds-Noirs, et y’avait surtout des policiers, et ceux qui travaillaient au port, des dockers, y’avait aussi... la tuilerie. Donc y’avait plutôt des gens qui gagnaient bien leur vie, et puis pour rentrer ici, il fallait être bien. En 87 c’était moins, mais seulement la mixité était plus importante, vous aviez des gens défavorisés. Vous en aviez plus qui travaillaient que de défavorisés. Donc automatiquement ça permet de tirer les petits vers le haut. Et maintenant du fait de la crise... y’a plus rien qui va, il faut dire que le monde tourne à l’envers, maintenant.

K. - C’est n’est pas propre à La Viste ?

M T. - Non, c’est le monde au complet. A moins d’être milliardaire, mais comme il y a qu’une petite poignée... Et puis en plus de ça, ici, ils ont fait beaucoup de ghettos, parce qu’ils voulaient pas être embêtés, alors la mixité n’y est plus. Ce qu’il aurait fallu, c’est qu’il y ait plus de mixité. J’espère qu’avec la réhabilitation ce sera différent, mais il va y avoir ce problème que les habitations seront plus neuves, qu’ils vont prendre des jeunes qui n’ont pas d’argent depuis le départ. Parce qu’il se passe une chose, ça arrange très bien les personnes qui commencent à peine dans la vie, ils sont deux à travailler, et ils veulent acheter ailleurs que dans les quartiers. Ça fait que ça se vide, et automatiquement on met une personne qui est pauvre. Ce sont des gens qui sont dans le besoin. Et il faut comprendre qu’ici, ils ont besoin de beaucoup de soutien. Parce que du fait qu’ils sont au chômage, ils ont beaucoup de problèmes. Alors si on les aide pas, ça va pas du tout. La Viste, c’est comme ça que je la voie. On n’arrive pas trop à prendre le dessus. Parce que le plateau, ils ont l’impression d’être des milords par rapport à nous, au 38. Moi, je vous donne la vue d’ici.

K. - Parce qu’en fait, le quartier est divisé en trois : le 38, le 74 et le plateau ?

M T. - Le plateau c’est là où vous avez les maisons, les commerces, où vous avez tout. Et dans le boulevard d’Hanoï ils ont fait des lotissements, mais c’est des lotissements plus sélects qu’ici. Faut dire la vérité.

K. - Il y a une sorte de rivalité ?

M T. - C’est pas une rivalité, non, non. C’est plutôt que l’un ignore l’autre.

K. - Il n’y a pas de contacts ?

M T. - On essaye, mais seulement quand il y a les fêtes, c’est plutôt ciblé. Il y en a pas beaucoup. Pourtant de l’autre coté, ce sont des enfants dont les parents habitent ici. Mais on arrive pas à tous les ramener vers le 38. Ils ont l’impression de régresser, s’ ils reviennent là. C’est ce que je pense, ça veut pas dire que ça soit la réalité.

K. - Nous avons eu des échos des habitants du plateau, ce qui revient, c’est le problème des poubelles, de la saleté, des voitures volées ?

M T. - Mais c’est le fait aussi, que les jeunes ici sont à l’abandon. Il doit y avoir 47 % des jeunes ici, qui ne travaillent pas. Donc quand vous avez autant de jeunes qui n’ont pas de travail, qu’est-ce qu’ils font ? Ils zonent. Et puis après, on tombe dans la délinquance, dans la connerie de faire du gymkhana avec la moto qu’on a volée. Le centre social fait pas mal de choses, il rassemble tous les jeunes jusque dix-sept, dix-huit ans, et il essaye de les rattraper avec le sport, avec un tas de trucs. Mais après, au-delà, on fait quoi ? On essaye de les placer, de les mettre en relation pour travailler.
Le problème, vous savez, c’est que du fait que vous venez des quartiers nord, ça fait un peu comme en ce moment, les chèques qui sont interdits dans le magasin parce que vous habitez à tel endroit, ils vous les prennent pas, parce qu’ils ont peur que ce soit impayé. Alors quand la personne du quinzième, elle veut aller travailler, elle a quelque chose qui est marqué sur son CV, son adresse, et ça aide pas trop. Avant c’était ouvrier ici. Ils allaient sur le port travailler, ils allaient sur le marché, ils faisaient barman. Je trouve qu’il y a une vingtaine d’années, c’était moins difficile. Ils ont fait plusieurs fois des stages dans mon tabac, pour se remettre au travail, et commencer de bonne heure et tout. Et puis ça leurs permettait de dire "je bosse !"

K. - Oui, c’est valorisant.

M T. - C’est ce qu’il faut. Il faut que ces jeunes, ils aient une première approche, pour aller vers le travail. Et puis ça éviterait les trafics et tout cet argent qui est trop facile à gagner. Et de ce fait, j’ai entendu que sur le plateau, il y en a qui veulent pas rentrer dans le 38, comme si ils allaient se faire agresser.

K. - Le 38 a une mauvaise réputation ?

M T. - Vis-à-vis du plateau, oui. Mais c’est une des cités les plus calmes du quinzième ou du seizième. Ça veut pas dire qu’il se passe rien. Mais n’empêche que c’est une des mieux.

K. - Pour vous ce n’est pas un endroit où l’on a peur de se faire agresser ?

M T. - Non. Pour se faire agresser, non. Je crains plus au 74 qu’ici au 38. Parce qu’ils se font agresser là-haut.

K. - Au 74, ce sont majoritairement des fonctionnaires ?

M T. - Au 74 avant, il fallait avoir les 1% patronal, donc déjà pour rentrer, il fallait travailler. Tandis que ici, non. C’est pour ça que là-bas, ça a l’air mieux, mais le résultat c’est que les enfants des enfants des enfants de ces gens, c’est les mêmes qu’ici. Et puis apparemment, ils ont plus de problèmes en-haut, que nous en-bas. Je sais qu’ils sont beaucoup plus embêtés, parce qu’ils embêtent les personnes âgées. Mais ça c’est par ouïe dire, c’est quand on entend quelqu’un qui dit que là-bas, avant c’était calme et maintenant... C’est comme de partout.

K. - On peut se faire agresser n’importe où.

M T. - Voilà. Il suffit qu’il y en ait un qui passe là, au hasard et que vous soyez au mauvais endroit, au mauvais moment.

K. - Vous, en tant que présidente du centre social, est-ce que vous avez des occasions de contacts avec les gens du plateau ou du 74 ?

M T. - Avec le 74, beaucoup. Avec ceux de la rue de Septèmes aussi, on a des associations qui sont affiliées ici, tout ça. Puis le 74 venait se servir à mon tabac, donc je les connais tous. Mais ceux du plateau par contre, s’il y avait le tabac qui était fermé en haut, ils faisaient des charters, enfin il y avait quelqu’un qui descendait pour dix personnes, admettons. Ils avaient toujours l’appréhension de rentrer, venir prendre. Mais au départ, non, j’avais tous ceux du 40, maintenant ils montent au plateau. Et puis, moi quand je suis arrivée y’avait la pharmacie, elle était à la place du téléphone. On a voulu sortir d’ici, se mettre sur l’avenue pour avoir plus de clientèle, plus de passages automatiquement. Ici, il faut rentrer, il faut connaître. J’avais surtout le passage de ceux qui vont à l’école de La Viste. J’avais toute cette clientèle. Maintenant, elle s’arrête plus. Elle va pas venir téléphoner. Donc y’a déjà ça qui est perdu pour chez nous, pour le 38. Donc ça permettait de faire des connaissances. Et ça, il y a plus. C’est pour ça que si on fait les jardins partagés là-bas, au Parc d’Hanoi, ça permet qu’on sorte du 38, qu’on aille voir ceux du plateau. Parce qu’on a l’impression, que nous on est des pestiférés, et que personne veut venir, alors autant que nous on sorte d’ici et qu’on fasse quelque chose de bien.

K. - Qu’est-ce que vous aimez particulièrement dans ce quartier ? Et qu’est-ce que vous aimeriez voir changer ?

M T. - Moi, ce que j’aime c’est que c’est un village, il y a beaucoup de gens qui s’entraident. Ce sont des gens qui ont des difficultés, mais qui ne s’ignorent pas. Je suis sûre que si il y a quelqu’un qui tombe dans la rue, on va le ramasser. Tandis que moi, ça fait trente-cinq ans que j’habite au même endroit, mais le voisin, c’est simple, il me parle quand il s’en va pour que je regarde un peu sa maison, je lui dis quand je pars, c’est tout. Sa femme je la connais tout juste, on s’est vu trois ou quatre fois. Voyez la différence. Donc résultat, moi ici, je me sens chez moi. Là-bas, je vais dormir, c’est tout. Je trouve que je suis mieux ici, dans la mesure où quand on voit les gens, ils sont contents de vous voir. Même s’ils ont quand même plus de problèmes que ma voisine, ils sont là, ils sont avenants, et puis ils viennent vous parler. C’est ce qui me plaît, je vous le dis. C’est le coté village qui est bien resté.

K. - A propos du parc d’Hanoï, vous le connaissez ?

M T. - Oui, oui. C’est un site très beau. Et derrière, quand c’est le printemps, cette coulée verte, tout ce feuillage, c’est sensationnel, mais ce serait dommage de faire des immeubles, des trucs comme ça. Si on fait un jardin, automatiquement on utilise la terre et on le fait toujours pour une question de partager, d’essayer d’amener la convivialité. Ce jardin, comme je l’imagine, je sais pas si ça va donner exactement ça, mais j’ai l’impression que ça va être un peu comme le 38. Il va y avoir des personnes âgées qui vont aller planter des carottes ou quoi que ce soit, et puis il y en a quelques-uns qui vont aller planter des fleurs ou des trucs comme ça. Et puis, ils vont s’en servir pour donner aux "restos du coeur" par exemple, enfin aux personnes qui en ont besoin. Chacun, il va trouver son parti. Un, ça va lui faire passer son temps, l’autre, il va aller prendre l’air là-haut. Ça va faire que des gens vont se côtoyer plus que maintenant, ils vont discuter : "On va planter ça, c’est telle période.", "Ça, c’est quelle période ?" Voilà. Et puis les personnes âgées, je suis sûre qu’ils vont s’intéresser au jardin, et ils vont intéresser les plus petits, dans la mesure où ils vont leurs dire : "On va aller au jardin pour aller apprendre ce que c’est une tomate ou un concombre." Et puis, ça leur fait une occupation. J’espère que ce jardin, ce sera un lieu de rencontres.

K. - Est-ce que vous y allez de temps en temps ? Est-ce que c’est très fréquenté ?

M T. - Non, c’est pas très fréquenté. De temps en temps, ils y vont pour aller regarder la vue.

K. - Ce sont des gens d’ici ?

M T. - Des gens d’ici. Y’en a qui vont pour aller faire un tour, y’en a qui marchent, y’en a qui courent, y’en a qui font du vélo. Ils avaient organisé la fête du sport là-bas, avec le parcours santé, donc c’était quand même pas mal. Mais il a fallu mettre beaucoup de personnes pour surveiller, parce que c’était très grand. Maintenant, on la fait ici, parce que c’est moins grand et on peut mieux surveiller les enfants. Tandis que là-bas, il fallait beaucoup de moyens, parce que ça monte, ça descend. Mais je trouve qu’il est pas très exploité. A un moment donné, ils voulaient faire un parc de boules et de volley, avec du sable, ramener du sable et tout. Au moment où ils voulaient faire la voie rapide qui passe juste derrière. Là, ça aurait peut-être gêné un peu ce coté tranquille. Mais je pense que le jardin partagé ça va pas les embêter beaucoup. Je crois pas qu’en pleine nuit, ils vont aller se faire un barbecue ou planter des carottes là-bas, vu qu’il y a pas de lumières et le soir à cinq heures et demi on n’y voit plus.

K. - Est-ce que vous avez d’autres idées pour ce parc d’Hanoï ?

M T. - Ils auraient pu faire, comme on faisait avant, avec des kiosques, on faisait de la musique des choses comme ça, que ce soit actif, qu’il y ait des chanteurs, les baraques... Moi, je verrais un truc comme ça. Quelque chose de gentil. Je sais pas, comme des animations par exemple. De temps en temps faire un peu des fêtes. Dire, "Tiens, il y a untel qui vient, ben aujourd’hui, à la place de le mettre au Dôme, on va le mettre là." Enfin, moins réputé que ceux qui vont au Dôme, parce qu’après c’est un question de moyens.
Si on a un jardin partagé et qu’on fait la fête là-bas, ce serait bien. Ça permettrait de connaître le voisin qui habite juste à coté, puisqu’on se voit pas. Ça permettrait cet échange du plateau au 38. Et on n’a pas l’impression que... on va pas embêter les gens d’ailleurs, au contraire on va faire de la convivialité, et ça leur permettra de voir qu’on saccage rien, qu’on est des gens normaux. Ils ont un peu plus de difficultés que ceux du plateau, parce que dans la mesure où c’est plutôt une population qui est populaire, et voilà, c’est tout.

K. - Pour finir, comment vous voyez un quartier idéal ?

M T. - Idéal déjà, il faudrait qu’il y ait les mêmes personnes, mais qu’il n’y ait pas autant de monde, que ça soit plus dégagé, comme ils font maintenant, un bâtiment de trente-huit personnes, après ils en font un à cent mètres. Il faut essayer de faire des immeubles qui sont potables, de façon à ce que vous ayez aussi bien une classe moyenne avec une classe en difficulté. Qu’il n’y ait pas que la classe en difficulté, dans le même quartier. Que ça soit plus aéré. Comme ça, il y aurait moins de problèmes, moins de confinement. Et essayer de faire de la mixité dans le travail, dans tout. Essayer de faire des immeubles qui sont potables, qui font moins ghetto, pas des grandes tours exiguës. Essayer d’avoir la mixité, c’est tout.

K. - La mixité, et comme vous disiez, qu’on soit tiré vers le haut, plutôt que vers le bas.

M T. - Voilà. C’est pour ça qu’en allant du coté d’Hanoï, on a l’impression de monter au plateau, de monter vers le haut. En plus c’est vrai, parce qu’on monte. Dans le sens figuré et propre. On va voir les autres personnes qui ont l’impression d’être mieux que nous. Mais ça veut pas dire qu’ils soient mieux que nous. Vous voyez que moi, quand je suis ici, je parle comme si j’habitais là. Parce que j’ai tellement vécu ici, que j’ai l’impression que je suis d’ici. Quand je dis que j’habite pas là, ça surprend. Les petits qui ont vingt ans, je les ai connu petits, petits. Ma voisine où j’habite, je la connais pas, mais ici je connais tout le monde.

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