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Tout était interdit pour nous - Sur la route - La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

Sur la route

Tout était interdit pour nous

Sans bien comprendre pourquoi, il était progressivement devenu « l’étranger ». En Syrie, quand on est kurde, tout est interdit.

Khaled a 29 ans lorsqu’il fait le choix décisif de quitter son pays et toute sa famille pour enfin vivre la vie qu’on lui a refusé jusqu’ici.


Koinai - Bonjour, pouvez-vous vous présenter ?

Khaled - Bonjour, je m’appelle Khaled. Je suis d’origine Kurde syrien et je travaille comme infographiste depuis 2001.

K. - Depuis combien de temps êtes-vous en France ? Et comment y êtes-vous arrivé ?

Kh. - Depuis 2009, je suis rentré en France. Comment j’y suis arrivé ? Je suis rentré dans la Turquie, après j’ai pris Atina. J’ai pris le bateau jusqu’en Italie, après le train jusqu’à Paris.

K. - Comment êtes-vous arrivé à Marseille, était-ce un choix de votre part ?

Kh. - En fait, j’étais arrivé à Marseille parce que je connais pas quelqu’un à Paris. Je connais juste un homme, qui était dans Marseille. Il était Kurde et il m’a dit : « Tu peux venir ici ». Moi, j’ai parlé avec lui sur Internet dans l’Italie et il m’a dit : « Tu peux venir à Marseille parce que je connais beaucoup de Kurdes qui peuvent t’aider ». C’est pour ça que je suis venu à Marseille.

Kh. - Est-ce que vous avez laissé de la famille en Syrie, si oui, arrivez-vous à avoir de leurs nouvelles facilement ?

Kh. - En fait, j’ai laissé toute ma famille dans la Syrie : mon père, mon frère, ma soeur. Juste je suis là avec mon frère. Il est arrivé après moi, à presque sept, huit mois d’intervalle. Lui, il est arrivé en Grèce et après à Marseille. Si c’est facile ? Ah non ! C’est pas facile ! Aujourd’hui, dans la Syrie, c’est grand galère. Toujours pas d’électricité, pas d’Internet, pas de gaz. C’est pour ça. Même le téléphone, pas de réseau. Parfois on reste deux, trois mois, j’appelle, je fais. Et pas de réseau ! Ces jours-là, oui... c’est pas facile.

K. - Qu’est-ce que c’est être « Kurde » ? Pour vous, qu’est-ce que ça représente ?

Kh. - Pour nous être Kurde, c’est parler kurde. Notre langue, c’est très important pour nous. Mais il y a aussi, le drapeau spécial pour les kurdes, les festivals pour nous, il y en a spécial. Il y a des fêtes spéciales comme par exemple, il y a une fête qui existe, tout le monde la connaît. Au départ c’était une légende [1], maintenant chaque 21 mars nous fêtons « le Nouroz ». Cela dure du matin jusqu’au soir, on allume le feu, on fait des danses, des musiques kurdes, notre musique ! Pour la femme, elle est habillée de rouge, de vert et de jaune, les couleurs du drapeau kurde. Pour les hommes, eux, ils sont habillés normalement.

K. - A l’arrivée au pouvoir de Bachar Al Assad, le peuple syrien espérait un retour aux libertés. C’est ce que l’on a nommé « le printemps de Damas ». Malheureusement, cela ne s’est pas passé comme ça. Qu’en avez-vous pensé ?

Kh. - Au début, il y avait le père de Bachar Al Assad, lui, il était très raciste contre les kurdes. Il nous donne pas les papiers, tout était interdit pour nous, les prénoms kurdes, les voyages, acheter une maison... tout nous était interdit, même le travail.

À sa mort, on a dit Bachar Al Assad, il est jeune, peut-être c’est mieux. Il va nous donner beaucoup de libertés.

En 2004, le premier problème est arrivé entre les Kurdes et les Syriens avec le match de foot, ça a commencé comme ça. Aussitôt, Bachar Al Assad a promulgué des lois contre nous, comme interdit les kurdes ils travaillent, interdit ils mettent leurs noms sur les bureaux, interdit ils mettent les couleurs kurdes dans leurs manifestes.

Moi, à cette époque, je travaille dans l’imprimerie. La police, elle arrive chaque fois à la fin du mois, il va regarder mon travail : est-ce qu’il y en a les couleurs des kurdes ? Est-ce qu’il y en a les livres des kurdes ? Tout nous était interdit ! Bachar Al Assad, il dit : pour nous, c’est fini ! Peut-être avant, avec son père, on pouvait parler un peu, mais sous Bachar Al Assad, c’est fini ça !

Entre nous, entre amis, on parle pas le kurde, dans la rue, tout ça. C’était devenu interdit. En 2009, Bachar Al Assad a fait une loi pour nous, pour les Kurdes, pour interdire le travail, même dans le Damas, c’est interdit. C’est pas rien que dans Quamishli, mais dans toute la Syrie, c’est interdit !

Si y a personne qui cherche du travail, normalement, il doit présenter la carte de nationalité, mais pour moi, j’ai pas carte de nationalité ! Comment je fais travail ? Comment je vais vivre ? Cette question, je sais pas moi, comment je fais... je sais pas moi. C’est très difficile ! Moi, par exemple, lorsque je suis parti à Damas pour chercher du travail, parce qu’à Quamishli, la police avec les lois, une fois par mois, elle t’arrête. A Quamishli, tu peux pas vivre, ça y est, c’est fini. C’est mort là-bas, c’est comme tu mourir.

Je suis parti à Damas, mais quand même c’était interdit que je prenne le bus. Alors comme mon ami, sa nationalité, il est Arabe, c’est lui qu’il a pris le billet pour moi, sur son nom, pour aller dans Damas. Moi, je suis dans la Syrie, c’est pas pour aller dans autre pays, j’ai pas dit la Turquie ! C’est comme si je veux aller de Marseille à Paris et que ce soit interdit que ce soit par le tram, le train, tout est interdit ! Mon ami, c’est lui qu’il a acheté les billets à son nom, je suis parti alors à Damas pour chercher du travail là-bas.

Mais sur mon diplôme, il a dit interdit travail ! Je suis parti là-bas chercher un travail et la première question qu’il a posée le monsieur, il a dit : « Vous-êtes d’où ? Parce que ton nom... vous êtes pas Damas ! » J’ai dit : « Je suis Kurde, je suis de Quamishli. » Il a dit : « Attends ! Vous êtes Kurde ? ». J’ai dit : « Oui ». Il a dit : « Montre moi la carte de nationalité ». J’ai dit : « J’ai pas de carte de nationalité ». Il a dit : « Interdit ! La police, il va me dire montre-moi les papiers et me dire c’est interdit, mais tu sais c’est pas pour les kurdes, c’est n’importe quelle personne qui cherche du travail. »

Mais moi je sais que, ça, c’est faux. Oui, c’est pour les Kurdes car il n’y a pas d’autres populations, c’est juste les Kurdes qui n’ont pas les papiers. C’est pas les Syriens, pas les Américains, pas les Français qui arrivent à qui on dit ça. C’est pour les Kurdes, pour nous ! Je me suis dit : « Qu’est-ce que je fais ? » Il a dit : « Interdit. »

J’ai retourné chez moi. Je reste bloqué comme ça. J’ai pas de travail, j’ai pas... je ne sais pas qu’est-ce que je vais faire.

K. - En février 2001, les Services de Sécurité gèlent les forums intellectuels, culturels, politiques et commencent à arrêter les militants pour les Droits de l’Homme, comment vous l’avez vécu ?

Kh. - Bon, après j’ai dit c’est fini pour nous, parce que c’est tout interdit ! Interdit, c’est pas seulement le travail, c’est tout interdit. Même si tu travailles avec quelqu’un, c’est interdit.

Même une fois, j’étais sorti un soir et la police, elle m’arrête ! Elle me dit : « Ton papier ! » Moi, je dis : « Je suis Kurde, pourquoi est-ce que vous m’arrêtez ? ». Ils m’ont emmené au commissariat. Moi, je leur disais « Mais je suis Syrien, je suis d’ici, je suis pas étranger ! ». Ils se sont mis à parler comme ça, à rigoler sur moi. Après, il m’a dit : « Vas-y, dégage, toi ! ».

Après ça, je me suis dit : non, c’est fini ! Même dans l’école, il y a les cours spéciaux de politique. Bon, maintenant c’est fini parce que c’est interdit. Les Américains, ils ont dit : « C’est interdit dans l’école, c’est pas des militaires ! ». Nous si, tu vois, on est habillé comme les militaires, on est habillé en vert, comme les militaires. Si tu vas voir les étudiants en Syrie, tu vas dire c’est des militaires.

Chaque fois, durant les cours, devant tout le monde, le professeur, il va dire : « Les Kurdes sans papiers, ils sont pas bien, dégage ! ». Comme ça, avec la main, il dit : « Dégage, sors ! » Alors je vais descendre, moi avec trois, quatre, cinq personnes, on va descendre en bas et on va attendre deux heures qu’il finisse son cours et puis on va rentrer et continuer a étudier.

Après tout ça, je me suis dit : « C’est fini pour moi. Moi, je suis né là, mais... je peux pas rester là ! Je veux trouver une solution ! Je sais pas où j’vais aller, mais ça y est, c’est fini. La Syrie, c’est fini pour moi. »

K. - Dans ces moments-là, lorsque vous regardiez à la télévision les pays étrangers, est-ce que cela vous donnait envie de vous y échapper ? D’aller aux États-Unis, en France ou dans un autre pays peut-être ?

Kh. - En fait, dans mon histoire, le but, c’est pas de partir dans tel ou tel pays. Juste, si je reste chez moi, je suis mourir ici. Juste, je vais aller, je sais pas où. Mais, juste, je vais dans un autre pays. Je vais aller loin, je vais laisser tout derrière, même la famille, même tout. Je vais laisser tout le monde. Juste, je vais partir. Dans ma tête, c’était définitif. C’était fini, je ne peux pas rester là ! Après, je suis donc parti en Europe et je suis rentré en France.

K. - La population syrienne est composée a 74 % de musulmans sunnites, 16 % de musulmans chiites et 10 % de chrétiens. Et vous, où vous situez-vous ? Et comment vous entendez-vous avec les autres ?

Kh. - Je suis Sunnite, musulman sunnite. Moi, j’habite une petite ville qui s’appelle Quamishli. Il y en a plein de Chrétiens, même des Juifs. On aime beaucoup les gens, on est pas racistes avec les gens. Finalement, quand on regarde, on vit beaucoup avec eux, tous les soirs on fait la fête avec eux. Je connais beaucoup de Chrétiens, je suis même rentré plusieurs fois dans une église.

Je ne suis pas raciste avec les autres, j’aime bien beaucoup même. Il y en a, comment s’appelle... les Coptes ! Oui, il y en a un, un Chrétien copte, qui m’aimait beaucoup. Chaque matin, quand j’étais petit, il venait chez moi, il sonnait et demandait à ma mère : « Donne-moi Khaled, il va venir avec moi à l’église » et j’allais avec lui a l’église. Puis, je restais une heure, deux heures, avant de rentrer chez moi.

J’aime vivre avec les Chrétiens, mais c’est pas juste moi. C’est pareil pour toute notre communauté. C’est aussi pour ça que chez nous, aujourd’hui, même s’il y a des grandes galères, les Chrétiens, ils disent qu’ils aimeraient rester avec nous : « Après Bachar Al Assad, on préfère rester avec eux parce que même si Bachar Al Assad, c’est vrai, il était comme ça, il était raciste avec nous, il nous donne pas les libertés, mais c’est mieux que les autres, ils vont venir aujourd’hui, les Quaîda, les Djihadistes, il va tuer tout le monde ».

K. - Les Kurdes représentent 15 % de la population, soit l’une des plus importantes minorités ethniques en Syrie. Pourtant, des lois visant à restreindre, voire à abolir leurs droits, ne cessent d’être promulguées. Comme par exemple, l’interdiction d’utiliser la langue kurde, de donner des prénoms d’origine kurde à leurs enfants ou encore d’interdire les écoles kurdes. Comment expliquez-vous cela ?

A.K. - En fait pour les Kurdes, il y a une seule chose qui n’est pas interdite, c’est le nom de famille d’origine kurde. Mais sinon tout le reste est interdit !

Même la couleur, même les prénoms, même la langue. C’est tout interdit pour nous. Les policiers, là-bas, disent : « Les kurdes, c’est des juifs ! C’est Israël ! On va tuer les Kurdes. Les Kurdes, c’est contre nous ! » C’est comme ça qu’ils le comprennent.

En Syrie, les policiers à chaque fois qu’ils m’arrêteraient, ils me disaient : « Pour nous, c’est toi l’Israélien, on va te tuer ! Toi, tu es Juif, tu es contre nous, contre les Arabes ». Je répondais : « Non, je suis Kurde, je suis Sunnite. Je sais pas moi, je vis, là ! C’est pas comme si j’étais Israélien. » Mais rien a faire. C’était toujours pareil.

Est-ce que tu te rends compte ? Moi, je suis Kurde et je suis sans papier ! Sans papier, je fais l’école, je fais étudier. Oui, mais après, pour les diplômes ? Interdit ! Chercher le travail dans les sociétés pour le contrat ? C’est interdit ! Pas de papiers, pas de diplômes, c’est tout interdit. Presque rien n’est pour les Kurdes, c’est tout interdit ! Les Arabes, ils peuvent vivre, mais pour nous non, même écoute, même le travail, c’est interdit... Comment on va faire ? Même le travail de main. Même ça, c’est interdit pour nous.

K. - Sous couvert de rébellion contre le régime de Bachar Al Assad, de plus en plus de Kurdes sont enlevés puis remis aux mains des djihadistes, quand ils ne sont pas tout bonnement massacrés. Diriez-vous que les Kurdes sont un peu les grands oubliés d’une guerre, dans la guerre ?

Kh. - En fait Bachar Al Assad il a pensé beaucoup de choses. Il a dit, aujourd’hui, si je laisse les Kurdes contre moi, pour moi c’est pas bon.

C’est grand galère dans la Syrie. Pas juste pour lui, mais aussi pour l’Iran, pour la Russie. Il a dit donc, on va choisir, soit c’est les Kurdes, soit c’est les Djihadistes. Les Djihadistes, s’ils arrivent a prendre la Syrie, ils vont les tuer tous, parce que Bachar Al Assad c’est pas juste une seule personne. Il y en a beaucoup des Allaouites. Il y en a presque un million, deux millions d’Allaouites comme lui.

Voilà pourquoi Bachar Al Assad il a dit, je vais donner des libertés, je vais parler avec eux, je vais leur donner la langue et tout et ils vont rester tranquille. Ils vont rester avec moi contre les Djihadistes, contre les Al Quaîda.

Al Quaîda, qu’est-ce qu’ils pensent ? Ils se disent, on va venir, on va tuer les Kurdes et on va prendre Bachar Al Assad comme ça. [mime une personne prise à la gorge]. C’est pour ça, je pense, qu’il y a plein de choses galères. C’est pas facile aujourd’hui dans la Syrie, c’est pas comme notre pays [ndr : la France].

K. - Certaines personnes craignent que la Syrie devienne un nouveau sanctuaire pour Al Quaîda, à l’image de l’Irak. Quelle est votre opinion à ce sujet ?

A.K. - En fait je pense que cette histoire, elle va venir, oui. On va avoir cette histoire comme l’Irak, mais plus... plus que l’Irak. Peut-être que l’Irak, on trouve que les Sunnites contre les Chiites. Mais ici, c’est autre chose, on va trouver beaucoup d’histoires.

Aujourd’hui, les Qaîda, les Djihadistes, il a dit, les Kurdes sunnites, les Arabes sunnites, c’est pas des Musulmans ! On va les tuer ! Alors, comment on va faire avec les Chrétiens ? c’est pour ça dans la Syrie, c’est une autre histoire. Parce que dans la Syrie, c’est pas que des Musulmans, il y a plusieurs. Il y en a des Druzes, des Alaouïtes, des Chrétiens orthodoxes, des Catholiques, il y en a des Kurdes, il y en a plein de population. C’est pour ça je pense, c’est une autre histoire, mais beaucoup de problèmes.

K. - Vous personnellement, est-ce que vous vous sentez plutôt Syrien ou plutôt Kurde ?

Kh. - Kurde ! Je pense plutôt Kurde parce que, pour moi, la Syrie... Jamais j’ai pensé ou j’ai réfléchi que j’étais Syrien parce qu’ici, tout est interdit ! Comme si je n’étais pas chez moi, comme si moi, je suis l’étranger. Je suis dans la Syrie, mais je suis l’étranger... je suis pas Syrien. C’est pour ça, jamais j’ai pensé je suis Syrien.

K. - Aujourd’hui, quel avenir voyez-vous pour la Syrie ?

A.K. - Pour moi, les Syriens, ils vont trouver beaucoup de problèmes. C’est pas facile, c’est la galère. Peut-être on va avoir quelques années, cinq, dix années, quinze années, même plus peut-être.

Comme j’ai dit, la Syrie, y a plein de pays, de grands pays qui sont rentrés comme les Russes, comme Iran, comme les Chinois.

Par exemple, comme les Russes, y a des militaires des Russes dans la Syrie, comme les Américains y a aussi des militaires américains dans la Syrie arabique. Désormais, c’est une autre histoire, parce qu’aujourd’hui, c’est pas Bachar Al Assad qui décide pour la Syrie : c’est les Russes, etc.

K. - Est-ce que vous pensez rentrer en Syrie, et si oui, serais-ce seulement pour un temps ou définitivement ?

Kh. - Jamais ! En fait, jamais je retourne en Syrie. Pourquoi ? La première chose, il y a des galères. Je ne sais pas il va finir quand. La deuxième chose, je peux pas rentrer en Syrie, parce que s’il reste, [ndr : Bachar Al Assad], s’il reste comme ça, il donne pas la liberté vraiment pour les Kurdes. Je peux pas rentrer à la Syrie.

C’est pour ça, très délicat pour moi. Quand tu demandes la patrie politique, l’asile dans l’autre pays, pour nous Syriens, c’est fini parce que c’est interdit.

C’est pour ça, pour retourner en Syrie, si Bachar Al Assad c’est fini, je peux rentrer. Mais Si Bachar Al Assad reste Président avec la même politique, je peux pas rentrer.

K. - Les Kurdes sont très fiers de leur nationalité, de leur culture, de leur langue et de leur drapeau. Mais cette communauté est tellement discrète que pour nous, étrangers, elle reste une énigme. Pourriez-vous nous en dire un peu plus ?

Kh. - Les Kurdes c’est très vieux. Avant, on était en un seul morceau, mais après, il a coupé le Kurdistan entre la Syrie, l’Irak, l’Iran et la Turquie.

Chaque pays, il a pris un morceau. On trouve des Kurdes, dans la Turquie, dans L’Iran, dans la Syrie, dans L’Irak. C’est pour ça, y en a un drapeau spécial pour les Kurdes, y en a une langue spéciale pour les Kurdes. C’est une vieille écriture, une écriture latine. Y en a festival spécial pour les Kurdes aussi.

Malheureusement, nous, on parle pas très bien Kurde. Et on écrit pas très bien Kurde non plus, parce que jamais, on est rentré dans une école kurde ou pris des cours kurde. C’est pour ça on connaît pas. Y a 90 % des personnes qui connaissent pas la langue, qui ne savent pas lire et écrire, 90 % presque quelque chose comme ça. Pour nous, y en a aussi, les films, y en a des chanteurs kurdes, y en a des manger spéciaux pour nous.

Et puis nous, on s’entraide beaucoup entre nous, on est solidaires. Mais seulement si y en a des problèmes normaux, si c’est les problèmes de politique, non. Tu peux pas dire je suis Kurde, je fais de la politique. Parce que si c’est un problème politique ? C’est un grand problème !

Entre Kurdes aussi, on s’entraide parce que c’est toujours la même histoire qu’on entend, les mêmes problèmes. C’est pour ça, on va s’aider, mais juste la politique, c’est diffèrent.

K. - Si vous aviez la possibilité de parler à Bachar Al Assad et de lui dire tout ce que vous voulez, la possibilité de lui parler a coeur ouvert et les yeux dans les yeux, que lui diriez-vous ?

Kh. - Si Bachar Al Assad était en face de moi ? Je vais pas frapper lui, non. Juste une petite chose. Je vais prendre la carte de nationalité de Bachar Al Assad et je vais lui dire, tu peux aller maintenant dans l’aéroport si tu veux. Allez, prend le billet, vas-y !

Tu prends le billet pour allez en Russie ou l’Iran et revenir ici. Revenir à Damas et vis maintenant sans papiers. On va regarder si tu peux vivre un mois. C’est tout. Sans papiers. Après, on va voir.

Je veux bien voir comment tu vas vivre sans papiers. Sans pouvoir manger. Sans travail. Interdit tout, pour toi. On va regarder comment tu vas faire, comment tu vas vivre... C’est tout. Juste cette question, je vais poser à Bachar Al Assad

K. - Aujourd’hui vous voilà en France, et à Marseille plus particulièrement, est-ce que vous vous sentez enfin chez vous ?

Kh. - Je suis très content ! J’ai pas donné quelque chose pour la France, j’ai pas fait beaucoup de choses. Pour la France, je fais rien, parce que je suis l’étranger de la patrie. Mais pour la Syrie, j’ai donné beaucoup de chose, j’ai fais des études là-bas, j’ai vécu là-bas.

Lorsque je pèse le pour et le contre comme ça, entre la Syrie et la France. Je regarde comme ça et je me dis, la France, je connais pas quelqu’un là-bas. Et pourtant, il me donne les papiers. Il me donne tout pour vivre. Pourquoi ce pays, je connais rien là-bas et il me donne les papiers pour vivre ? Et pourquoi la Syrie, il me donne pas ?

Laisse les politiques à part. Moi, je m’en fous le problème de politique. Les Kurdes, c’est pas tous les politiques. Les enfants, c’est pas le politique. Les filles, c’est pas le politique. Laisse la politique à part. Mais les papiers pour vivre, c’est autre chose !

D’accord, aujourd’hui les Kurdes, ils demandent pour couper la Syrie. Ok, d’accord, laisse à part cette histoire. Mais les papiers ? Comment on va vivre ? T’as compris ? Ok, moi je suis d’accord avec Bachar Al Assad. Il dit que les Kurdes, ils demandent de couper la Syrie. Ok, laisse à part cette histoire. Mais comment nous on va vivre ? Et c’est depuis 1962 et jusqu’à aujourd’hui ! Toujours sans papiers, c’est trop pour nous ! C’est pas facile... c’est pas facile... Je peux même pas aller dans un autre pays.

Tu me donnes pas les papiers, alors laisse-moi. Je vais m’en aller. Je vais sortir. Pourquoi tu me laisses chez toi dans la Syrie, et tu me dis tout interdit, mais tu vas rester là, obligé, je te laisse pas aller dans autre pays ?
Mais pourquoi ? Les enfants ? Les enfants de quelques années, interdit pour lui ! Pourquoi ? C’est quoi, l’histoire ?

Aujourd’hui, moi, je pense à beaucoup de choses. La France, pour moi, c’est comme chez moi. Parfois, je regarde comme ça, la France. Je marche dans les rues, je trouve pas Marseille, c’est autre pays. C’est comme je suis né ici.

La police de France, c’est elle qui m’a donné date de naissance. Parfois je regarde comme ça les papiers. Je dis, regarde, je parle comme ça à moi-même, je dis, moi, le pays, je connais pas. Moi, je suis pas la France, je suis pas né ici. Pourtant, les politiques, la police, la France, ils me disent, vous êtes avec nous, vous avez vos papiers, vous avez des droits comme les Français.

C’est pour ça. Moi, je suis très content, j’aime beaucoup la France. Je veux dire vraiment... Merci.

K. - Alors, aujourd’hui, dites-moi, qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter ?

A.K. - Pour une personne comme moi, qui va vivre 25 années sans papiers, je pense pour moi, le mieux, c’est les papiers en premier. Mais autre chose pour vivre, pour moi, je réfléchis pas. Parce que je suis resté 25 années sans papiers. C’était ça, le problème.

Aujourd’hui, la France, elle m’a donné les papiers pour vivre. Je travaille, je suis tranquille, je vais où je veux. Si la police, elle m’arrête, je vais présenter mes papiers, je suis tranquille. C’est comme je suis Français. Pour moi, j’ai pas besoin d’autre chose, ça y est. C’était ça, mon but.

K. - Merci

A.K. - Merci à vous.

Notes

[1Les Kurdes utilisent le terme Newroz . En kurde moderne, nouveau se dit ’new’ et jour se dit ’ro’. Les Kurdes célèbrent le Norouz durant la semaine de 21 mars et le considèrent comme la fête la plus importante de l’année. Le Norouz est également accompagné chez les Kurdes de la légende de « Kawa le forgeron » : Affligé aux épaules de deux serpents, le Roi Zohak faisait sacrifier tous les matins, deux jeunes gens pour nourrir ses monstres, de cervelle humaine. La légende raconte que trois chevaliers, déguisés en médecins, épargnèrent une victime sur deux, en substituant sa cervelle à celle d’un mouton. Le survivant s’enfuyait dans les montagnes, et de ces milliers de fugitifs naquit le peuple kurde.
À la fin du règne de Zohak, un forgeron nommé Kawa, dont seize fils avaient été sacrifiés, se révolta quand son dernier enfant fut capturé. Selon la légende, Kawa se révolta le jour du Newroz.
Ayant réussi à s’infiltrer dans le château de Zohak, Kawa le tua et libéra ainsi son peuple du joug de la tyrannie.
Partout on alluma des feux et on dansa autour pour fêter la mort du tyran et célébrer l’exploit de Kawa. Depuis, chaque année, le jour du Norouz, les Kurdes allument des feux et dansent autour pour fêter la victoire de la liberté sur la tyrannie.
Ils se rassemblent à l’extérieur des villes pour célébrer la venue du printemps ; les femmes et les hommes portent des vêtements verts, jaunes et rouges qu’ils considèrent comme les couleurs du peuple kurde. Il existe plusieurs versions de la légende de Kawa selon les régions du Kurdistan, mais toutes font du Norouz le jour de la victoire de Kawa sur Zohak.

Source : Wikipédia

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