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Obligée de venir - Sur la route - La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

Sur la route

Obligée de venir

Migrante équatorienne

"Dès que j’ai fini le bac, je suis partie de l’Équateur. Ça fait douze ans cette année que je suis arrivée en France. C’était pas un projet. Ma mère était venue en France trois ans avant, en 91, pour travailler, pour envoyer de l’argent et pouvoir aider ses enfants." Léonor Taranzano, quiténienne, trente ans.


Obligée de venir
 Obligée de venir

La situation économique en Équateur n’est pas bonne, y’a beaucoup de pauvreté, on va dire. Ma mère se disait : "Peut-être que je vais jamais m’en sortir." Une tante à moi - une sœur à ma mère - l’a aidée et c’est comme ça qu’elle s’est retrouvée en France, pour travailler.

Au départ elle nous avait dit : "Je pars pour trois ans et après je reviens." Pour nous c’était ça. Comme mes parents venaient de divorcer on est restés entre frères et sœurs en Équateur, on était seuls tous les six. Mon père à l’époque avait refait sa vie avec sa nouvelle femme, il venait de temps en temps. Houlà, ça fait remonter tout le passé ! Donc nous, on était resté à la charge de ma sœur aînée.

Comme les années passaient, ma mère s’est aperçue que c’était mieux de nous faire venir en France petit à petit et que nous on fasse aussi notre avenir ici. Ma mère a dit : "Ta sœur - la deuxième, je suis la troisième - je vais la faire venir, comme ça elle m’aide à travailler et elle m’aide à nourrir tes frères." C’est comme ça que ma sœur s’est retrouvée aussi en France un an avant moi. En même temps, ma sœur ici c’est une charge en moins pour elle. Donc si moi je venais, c’était pareil. Ma sœur aînée est restée en Équateur, c’est elle qui était à la charge de tous ses frères, on va dire. Les trois plus jeunes plus ma sœur aînée, ils sont restés quatre.

Donc en 94, ma mère m’a dit : "Maintenant il va falloir que tu viennes." Ma sœur aussi a poussé un peu pour que je vienne. Je sais pas si c’était parce qu’elle voulait pas être seule ici, avec ma mère, et que je sois là pour lui faire de la compagnie mais elle m’a dit : "Oui, si tu viens pas, ma mère ne va pas t’aider à continuer les études." Et ma mère aussi : "Si tu viens pas, tu iras voir ton père s’il veut s’occuper de toi." Donc, c’était une sorte de harcèlement. Je me suis dit : "C’est vrai, étant donné que la vie est difficile ici, je vais pas m’en sortir, donc il vaut mieux que je vienne." Je me suis vue obligée de venir. Pour moi ça aurait été mieux si j’étais restée à continuer mes études.

J’étais une charge en moins pour elle puisque ici j’allais travailler, et c’est ce qui s’est passé : à l’âge de dix-huit ans, quand je suis arrivée, j’ai commencé à travailler en gardant des enfants, en faisant du ménage. J’étais bien obligée puisque j’avais pas les papiers, je pouvais pas continuer les études. On donnait un peu d’argent à ma mère pour qu’elle puisse l’envoyer à mes frères et le reste c’était pour nous.

Je suis venue en avion, d’ailleurs le billet coûte hyper cher. L’argent, c’est ma mère qui me l’avait prêté, c’était un emprunt que je dois rembourser une fois ici en France une fois que j’avais travaillé. Y’a des gens qui s’endettent, ils vendent la voiture, leur maison, leur appart… ce qu’ils ont pour acheter un billet d’avion et venir ici. Ils préfèrent faire ça parce qu’ils savent qu’une fois ici ils vont pouvoir travailler, économiser et s’acheter deux voitures, deux maisons, voilà. La France, l’Europe, les Etats-Unis c’est vu un peu comme… des pays très développés, où on gagne bien. Après, la réalité c’est une autre.

J’avais fait la demande d’une visa pour rentrer en France - il faudrait bien que je précise ça aussi - mais elle m’avait été refusée. Par contre à l’époque on pouvait passer par l’Espagne. Donc je suis bien arrivée en avion de l’Équateur jusqu’à Paris mais de Paris, il fallait que je prenne un autre avion pour l’Espagne. Donc ma destination finale c’était en Espagne et après, de l’Espagne il fallait que je passe clandestinement ici en France, et ça s’est passé comme ça. Je suis arrivée en France par train que j’avais pris à Bayonne, c’est-à-dire la frontière entre la France et l’Espagne, et ils m’ont reçue à la gare de Lyon.

Pour moi j’ai fait presque une odyssée. Je connaissais pas la langue, tout était nouveau : les trains, l’infrastructure, tout, les boutons, les machines… c’était étrange, tout ça. Le français, je l’ai appris une fois arrivée en France, je suis rentrée dans une école pour les immigrants avec un cours d’alphabétisation, j’ai commencé comme ça. Comme je suis arrivée jeune, on assimile plus vite une langue.

Je me suis installée à Paris avec ma mère. Comme je suis arrivée en plein été, pour moi tout était beau, par contre une des choses qui m’avait choquée, comme chez nous on voit pas les gens dans les parcs bronzer presque nus, ce sont les femmes qui bronzaient sur les parcs avec tout en l’air (rires). On est resté ensemble un an et après moi et ma sœur on s’est trouvé un studio, on est allées habiter ensemble. À Paris, j’ai vécu six ans.

Aujourd’hui, je suis mariée, j’ai pas des enfants. Le destin a fait que j’ai rencontré mon futur mari à Lyon, pendant les vacances, et lui était de Marseille. Je suis descendue avec lui à Marseille. Mon mari habitait déjà là, donc j’ai pas eu de problème pour trouver un logement. J’ai bien été accueillie par ma belle-famille, mais comme c’était le début de mon intégration, j’étais un peu timide. Sinon ça c’est bien passé. D’ailleurs c’est grâce à Marseille que je revis puisqu’à Paris, j’ai vécu six ans de déprime. Marseille, c’est une nouvelle vie pour moi, j’adore Marseille. Le climat se rapproche plus aussi du climat de l’Équateur.

Par nationalité je suis devenue Française, je suis naturalisée. J’ai les deux, je suis Française et Equatorienne. Mon mari est Français et il a des ancêtres Italiens, mais ça m’arrange pas de parler espagnol avec lui. Parce que je préfère bien-bien pratiquer la langue française et encore je commets pas mal de fautes. Je refuse presque de parler espagnol. Je cuisine des plats traditionnels de mon pays quand on se réunit avec ma famille, ou quand j’invite mes amis, là ça me fait plaisir de préparer des plats typiques pour leur faire découvrir.

Entre Sud-Américains, on est très solidaires entre nous mais parfois il arrive qu’il y ait du business avec le boulot. J’ai une anecdote : il y avait une amie Equatorienne qui partait, qui avait un boulot et qui gagnait très bien, elle gardait un gosse et était bien payée. Et ma sœur, elle tenait à travailler chez ces personnes parce qu’elle se disait avec un seul enfant, être bien payé, c’est le rêve, quoi ! Et comme ma sœur tenait à avoir ce boulot, cette copine lui a demandé de l’argent. Et ça, forcément, les patrons n’étaient pas au courant. Certaines personnes, quand elles partent et qu’elles savent qu’une autre personne cherche du boulot, elles demandent de l’argent en échange, c’est le marché noir des gens qui gardent les enfants ou qui font le ménage.

Pour trouver du travail, j’ai pas eu de problème administratif. Ça a été par des relations, c’est un copain qui m’avait parlé d’une association et c’est comme ça que je me suis retrouvée à travailler pour cette association pendant trois ans. J’étais animatrice-nature dans un jardin biologique à St Barnabé, dans le XIIe. Ça s’est bien passé dans l’ensemble. Bon après, y’a toujours des petits problèmes qu’on rencontre dans tous les milieux, dans tous les travails d’équipe.

Mes projets professionnels c’est de créer une entreprise agricole en maraîchage bio en association avec des copains, justement. Je viens de finir une formation auprès d’une entreprise en agriculture bio et là j’entreprends cette semaine une nouvelle formation pour devenir directrice des centres aérés. À long terme ça peut entrer dans ce projet-là puisqu’on pense développer l’éducation à l’environnement dans notre entreprise. Et on s’était dit, pourquoi pas créer un centre aéré. Si jamais on est amené à créer ce centre, voilà, moi je serai prête.

On retourne en Équateur tous les deux ans pour les vacances d’été. Et là on va partir le mois d’octobre pour rester un an, peut-être. On a envisagé d’aller passer quelques années et en fonction de ça, voir si on reste un peu plus, mais je pense qu’on va faire plutôt les deux pays, un peu l’Équateur, un peu la France car mon mari est Français, il a sa famille ici. Mais on pense partir vivre quelques années, déjà quelques mois et après peut-être qu’on va rester un peu plus, on verra bien ce qui se passe. Là-bas j’ai ma famille, mais j’ai pas gardé des amis. Ma mère, mes frères et sœurs sont tous finalement venus en France et se retrouvent à Paris. Ils viennent me rendre visite pendant les vacances à Marseille deux fois par an. Le reste de ma famille, ceux qui sont en Équateur, il faudrait qu’ils vendent leur maison, leur voiture, tout ce qu’ils ont pour venir en France. Mon père est resté là-bas.

Je préfère largement là où je suis maintenant. J’ai pas vraiment approfondi tout mon passé, tout ce que j’ai vécu, mais j’aimerais pas le revivre. C’est l’avenir qui compte. Je suis très contente pour ma vie puisqu’elle a beaucoup, beaucoup changé et c’est ce qui compte, et pour ma famille, parce que notre situation a beaucoup évolué. Le fait d’être venus ici, ça nous a permis de changer, de changer de mode de vie. Parfois on se plaint ici en France, y’a des gens qui sont pires ailleurs, dans de mauvaises situations dans d’autres pays. Peut-être le fait de voyager un peu ça nous aide à relativiser, se dire : "Finalement on est bien, arrêtons de nous plaindre."

Propos recueillis par Éric Larousse le 04/07/06 ; rédaction : Patricia Rouillard ; image : Christian Coursaget.

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