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L'heure de la sentence (3) - Sur le vif - Le prix de la liberté - La revue du témoignage urbain

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Le prix de la liberté

L’heure de la sentence (3)


...Il y a trois filles dans la cellule qui sont là depuis sept heures ce matin. Elles viennent des geôles du commissariat où elles ont passé vingt-quatre heures. La conversation s’engage très vite : “Pourquoi tu es là, toi ?” Les deux premières sont connues des services de police pour vol à l’étalage, la troisième s’est fait attraper en possession de dix grammes de cocaïne.

J’attends... Toujours cette attente... Heureusement qu’il y a ces filles que je ne connais même pas. Mais je pense que le fait d’être dans la même situation nous donne envie de discuter, même si ce n’est que pour étaler nos petites histoires, cela nous permet de ne pas trop penser à ce qui va se passer par la suite.

Il est déjà treize heures. Un surveillant vient ouvrir la porte pour nous donner un petit sachet transparent contenant un morceau de pain, une orange et un kiwi. C’est pas grand chose, mais quand tu n’as rien dans le ventre depuis sept heures du matin, ça fait du bien. On en profite pour aller aux toilettes, car une fois la porte refermée, c’est reparti pour je ne sais encore combien d’heures d’attente. Si tu as envie d’aller au wc, serre bien les fesses. Car avant qu’ils viennent t’ouvrir, tes doigts, sont presque en sang à force de taper sur cette grosse porte en fer. C’est incroyable. Par moment, je ne supporte même plus d’entendre les filles parler. Je ne sais pas... ça m’énerve. Je ressens le besoin de me retrouver seule, comme si je voulais faire le point sur moi-même. Mais impossible ! Ça papote d’un côté... ça crie de l’autre, car l’on peut entendre les hommes à côté. Ils tapent et crient... C’est l’enfer ! Je n’arrête pas de fumer cigarette sur cigarette, car lorsque l’on vient des Baumettes, on a le droit de prendre des cigarettes avec nous, mais en paquets fermés. L’attente me rend folle.

Il est dix-sept heures. Ils viennent chercher les détenus d’abord. Donc j’en fait partie. Enfin ! D’une certaine façon, je me dis : “Ouf !” Je vais enfin savoir combien je vais prendre. Mais en même temps, une immense peur commence à me monter des pieds jusqu’à la tête. C’est une drôle de sensation. Ils nous mettent en file indienne et nous remenottent. Ils nous font marcher quelques pas, puis ils nous font prendre des escaliers étroits et en escargot.
Nous n’en sommes qu’au premier et j’ai déjà la tête qui tourne. Nous continuons ainsi, jusqu’au troisième, où l’on se retrouve dans une salle d’audience. Sauf que les détenus restent à l’abri des regards du public dans une sorte de boxe contenant deux bancs face à face, où s’assoient les hommes.
Moi, je suis dans un autre boxe de trois places, mais je peux voir le public, et vice-versa. Alors, tous les mecs me demandent qui je peux voir sur les bancs, et je décris la scène. Chacun reconnaît à peu près ses amis, sa famille, mais on entend sans cesse les policiers dire : “Chut !”

Brutalement je vois entrer par la porte des visiteurs, mon grand-frère, ma belle-soeur, avec mon autre frère. CHOC !!! Je n’arrive plus à sortir un seul mot de ma bouche. Je suis figée. Je baisse ma tête sous cet espèce de comptoir. Je pleure. Je ne veux pas qu’ils me voient dans cet état. Je reprends mes esprits.

Je peux les voir. Ils me cherchent des yeux. Je mets les mains entre mes jambes, car je refuse qu’ils me voyent avec les menottes. Je relève la tête et essaie de leur faire des signes. Ça y est ! Mon frère me voit, nos regards se croisent. Je lui fais un grand sourire d’hypocrite et je vois qu’il me montre à sa femme et à mon autre frère. Je leur souris, mais je vois ma belle-sœur fondre en larmes. J’arrive plus à jouer la comédie et je replonge ma tête sous le comptoir pour me cacher.

Juste à ce moment, j’entends mon nom suivi d’un numéro de dossier. Je ne sais plus où je suis. Deux gendarmes se dirigent vers moi, m’escortent jusqu’à la barre, mais je suis obligée de traverser le couloir devant le public. Je passe tête baissée devant ma famille, car j’ai toujours les menottes. J’aperçois ma belle-sœur qui me fait des signes, mais je n’arrive pas à relever la tête. Je l’ignore complètement. Arrivée devant la barre, l’un des gendarmes m’ôte les menottes. C’est à ce moment-là que je me retourne vers le public et fais un grand signe à ma famille. Mais le gendarme me rappelle vite à l’ordre.

C’est le délibéré et encore cette p... d’attente d’une heure, qui me semble ne plus en finir. C’est mon tour ! La Cour me condamne à dix-huit mois de prison dont douze fermes, six avec sursis et cinq ans de mise à l’épreuve. Je ne comprends rien. Je ne sais pas ce que le Président à voulu dire... Je demande au policier ce que cela veut dire, mais il ne me répond pas. Je vois mon frère taper son front avec sa main, ma belle-sœur s’effondre en larmes... tout tourne autour de moi. Je ne comprends plus rien. Arrivée à ma place, je redemande au policier assis près de moi, quelle est la sentence et il me dit : “Tu as pris un an.” Automatiquement, je me tourne vers le public. Je vois mon frère qui me fait comprendre par un geste de la main combien j’ai pris. Je le fixe des yeux et crie : “Neuf mois, c’est rien !” Le gendarme me dit sèchement : “Tais-toi !”
Ma famille ne veut pas quitter la salle. Elle attend que tout le monde s’en aille pour profiter de me voir.

Au fond de moi, je prie. J’implore Dieu que ma famille sorte, car je n’arrive plus à me maintenir. J’ai peur de craquer devant elle. A un moment donné, je fixe mon frère et lui fais signe de la tête en direction de la porte de sortie. Je crois qu’il a compris. Je vois qu’il chuchote dans l’oreille de mon autre frère. Ils restent encore cinq bonnes minutes et je les vois prendre la direction de la porte. Ils m’envoient des bisous avec leurs mains et s’en vont. Je m’effondre aussitôt en larmes.

Ça y est. Il est minuit. On remonte aux Baumettes, mais cette fois-ci, nous ne sommes plus nombreux. Je n’arrête pas de gamberger, en pensant à mes parents : “Ils vont devenir fous, comment vont-ils réagir ?" Je me languis de rentrer aux Baumettes. Je suis exténuée, je n’en peux plus. Toute ma section m’attend. Personne ne dort. J’entends par la fenêtre : “Alors combien ?”
Je leur réponds : “C’est bon, j’ai pris un an, j’en ai fait un, il ne me reste plus que huit mois !”
Plus personne ne parle, ils ont compris que j’ai besoin de reprendre mes esprits...

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