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Les tribulations d'un rapatrié à La Viste - Vis ma ville - La Viste de bas en haut - La revue du témoignage urbain

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La Viste de bas en haut

Les tribulations d’un rapatrié à La Viste

Né dans les années trente en Algérie, le tout jeune Germain Benisti rentre en France avec sa mère. Enfant, il découvre alors Marseille et passe seize ans à Mazargues. Sous les drapeaux c’est presque naturellement qu’on le renvoie sur la terre qui l’a vu naître et il est alors intégré comme interprète en arabe, langue qu’il avait apprise dès son plus jeune âge. A son retour dans la cité phocéenne, il fonde son foyer et s’installe avec femme et enfants à La Viste. C’est là que tout commence... Engagé en politique, notre homme est remarqué par Gaston Defferre, s’implique dans la vie militante et associative du quartier. En sa compagnie, c’est tout une page d’histoire, des années soixante à nos jours que nous parcourons où se mêlent souvenirs et péripéties.


Koinai - Pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Germain Benisti - Je suis monsieur Germain Benisti, je suis né en Algérie le 9 mars 1936. Mon père étant décédé pendant la guerre en Tunisie, nous sommes venus à Marseille, avec ma mère. Nous étions très jeunes, pas de moyens pour nous garder, nous avons été placés dans un orphelinat, nous avons un peu grandi là, et une fois que ma mère a été installée, nous sommes retournés avec elle. Nous avons vécu dans plusieurs endroits de Marseille, et puis finalement, on a habité pendant seize ans à Mazargues. Je suis rentré dans un centre qui appartient à un organisme israélite, parce qu’à vrai dire, mes parents ce sont des israélites, et j’ai fini mes études à l’âge de vingt ans.

K. - Quel métier exerciez-vous ?

G B. - J’étais monteur électricien ajusteur. J’ai pas fait la radio, parce que c’était trop fort pour moi la radio. J’ai été amené à faire des concours en tant que lycéen, puis une fois en entreprise, j’ai fabriqué des pièces d’avions, tout ça. Sur cent bonshommes, on prenait les cinq premiers, donc j’étais recâlé à chaque fois. Et puis un jour, j’ai été appelé sous les drapeaux, j’ai fait mon service militaire à Fréjus. Après, j’ai été orienté sur l’Algérie.

K. - Et après, vous êtes toujours resté sur Marseille ?

G B. - Oui. Seize ans à Mazargues, c’est là que j’ai connu mon épouse. Et vous savez, quand on est jeune, moi je pensais pas au mariage. Quand j’ai été appelé sous les drapeaux en Algérie et que je suis arrivé là-bas, j’étais auxiliaire dans un bataillon disciplinaire. C’était pas pour moi ça. Je suis arrivé avec un bras esquinté, et j’ai salué du gauche, j’avais une autorisation pour saluer du gauche. J’ai connu un colonel et il m’a dit "On t’a jamais appris comment il fallait saluer ?", j’ai dit "Oui, voilà le papier." Bon, il a téléphoné en France, il a dit "Comment, vous m’envoyez un estropié". En fait, ils m’ont envoyé là-bas, parce que je suis né là-bas, dans un village d’Alger même. Dans ce village, mes camardes c’était tous des copains de quartier, des arabes, c’était l’époque où les arabes ils avaient pas le droit d’aller à l’école française, mais moi je savais pas, j’allais à l’école arabe. Donc, ils se sont aperçus que je parlais l’arabe, parce que ça m’a fait quelque chose de voir les sénégalais frapper un pauvre vieux. Donc automatiquement "Pourquoi vous le frappez ?" il me dit "Il veut pas dire ce qu’il a dans les valises", j’ai dit "Il a de quoi vous vendre des boites de sardines, des cigarettes, des machins comme ça". "Pourquoi il le dit pas ?", j’ai dit "Parce que il vous comprend pas et vous le comprenez pas." Alors, ça a été répété, j’ai été muté au deuxième bureau. Donc j’étais interprète, j’avais cent soixante-dix femmes FLN, et j’avais plus de trois cents bonshommes que je menais tous les matins, consultant à l’infirmerie, tout ça. J’ai dû faire trois ans d’armée. Quand je suis revenu en France, j’ai été revoir la petite demoiselle que je fréquentais et finalement j’ai demandé sa main, on s’est marié et on a eu cinq enfants. Maintenant mes enfants sont placés, ils sont mariés, il y en a qui travaillent dans les écoles, y’en a qui travaillent à la MPM, tout ça...

K. - A quel moment êtes-vous venu habiter La Viste ?

G B. - Je suis arrivé dans les années soixante. On terminait cette cité-là, mais ça c’est ma femme qui a déménagé sans m’en avertir, parce qu’on avait un petit logement de trois pièces que j’avais aménagé, parce qu’on a commencé à avoir des enfants. Et elle pouvait plus supporter d’habiter là, elle est allée voir les allocations, et elle est venue habiter ici, sans me le dire. J’arrive du travail le soir, en moto, il y a personne. Je vais voir ma mère, elle me dit "Mais ta femme elle a déménagé". J’ai dit "Ah ouais ? Eh ben je rentre pas !" Parce que j’ai pas aimé que ma femme sans m’avertir déménage dans la journée. Pendant deux, trois mois, je suis pas rentré chez moi. J’ai été chez ma mère. Parce que je crois pas qu’il y en ait beaucoup à qui leur femme a fait pareil. C’est délicat, tu avertis pas ton mari, tu déménages.
Et puis, je me suis attaché à ces quartiers. J’étais responsable de Saint-Louis La Viste, mais pour en arriver là, il fallait que j’aille plus loin. J’ai monté un groupe de jeunes. Gaston Defferre m’a mis le grappin dessus, automatiquement, parce que j’avais quand même dix sept mille jeunes, j’étais bien placé à la fédération socialiste, en tant que président des jeunesses socialistes, où j’ai rencontré un monsieur qui s’appelait Patrick Menucci. Aujourd’hui, il est maire. Donc moi, je faisais mon passage dans les quartiers, mais je poussais pas les jeunes à entrer dans un parti quelconque ou quoi que ce soit. J’ai connu à cette époque-là, Noël Guerini élu conseillé municipal, et moi j’étais secrétaire des jeunesses socialiste. Ce qui fait que je me suis beaucoup attaché à l’ensemble de tous ces quartiers.

K. - Quelle impression vous donnait La Viste de l’époque ?

G B. - Les habitants n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Aujourd’hui je suis confronté à avoir deux types d’habitants, et très dangereux, parce que les habitants qu’il y a ici, maintenant ils sont mélangés, il y a des kurdes, des turques, il y a de toutes races, il y a même des sans-papiers qui payent ni leur loyer, ni... On appelle ça la solidarité. Ils payent pas l’électricité, ils payent pas le gaz, rien. C’est ceux qui payent plein pot à qui on distribue des bons loyers, pour aller aux allocations, aux APL, des trucs comme ça. Moi, je paye un loyer de cinq cent cinquante, et y’a pas que moi, tous les anciens qui ont habité là, ils payent un tel loyer, c’est pas normal.

K. - Que pouvez-vous dire sur le rapport entre le 38, La Viste, le 74, le noyau villageois ?

G B. - Il n’y a aucun rapport avec le 74, parce qu’ils sont différents de nous. D’ailleurs vous le voyez, là bas c’est propre, y’a pas de jeunes qui sont dehors comme vous le voyez là, y’a pas de jeunes qui sont dans les escaliers. Parce qu’ils envoient des lettres aux parents et des menaces pour les faire partir de ce quartier.

K. - Au sein du quartier, quel est l’endroit qui rassemble le plus de gens, où l’on croise, où l’on rencontre le plus de monde, et des gens des différentes parties du quartier ?

G B. - Je rencontre beaucoup de gens différents. Les gens se rencontrent aussi bien à droite qu’à gauche. Moi je monte vers neuf heures, sur ma route jusqu’au plateau de La Viste, je suis interpellé trois ou quatre fois par des gens, et on discute. Les gens se retrouvent à ED, à la sortie des écoles, au centre social. Le centre social pour eux, c’est l’endroit où ils pourraient faire des choses, parce que il y en a qui ont des lettres à faire, il y a des jeunes qui ont des CV à faire, on les oriente, tout ça.

K. - Comment vous décririez le quartier en quelques mots ?

G B. - Moi, j’ai fait quelque chose de bien. C’est un bon quartier, mais il y a des dérapages, c’est comme dans tous les quartiers. Mais j’ai bien modelé mon quartier. Tout est bien.

K. - Est-ce que vous trouvez aujourd’hui, que le quartier a changé ?

G B. - Oui, le quartier a changé.

K. - En quoi ?

G B. - En commerces. Il y a beaucoup de commerces qui se sont adaptés, des commerces qui viennent d’ailleurs, qui viennent du marché aux puces. Parce que le marché aux puces, ça va se dégager tout ça. Donc ils ont trouvé des locaux ici et ils se sont mis, soit à vendre de la viande hallal, à vendre de l’épicerie. On a ici quatre boulangeries, on a quatre bars. Mais ils se font pas la guerre entre eux. Le tabac a été racheté par un maghrébin, le PMU c’est pareil.

K. - Qu’est-ce que vous aimez particulièrement dans ce quartier ? Qu’est-ce que vous aimeriez voir changer ?

G B. - J’avais une équipe de majorettes, de fanfares. On défilait tous les samedis et les dimanches, on embellissait le quartier, on faisait de la musique tout ça, on faisait des concours de boules. Ça vivait le quartier, les commerces et tout, ça vivait de voir ça. Même les gens, ils étaient content. On faisait aussi du ballon, on avait une bonne équipe de ballon. On avait une équipe de boxe. Mais ce qui manque dans ce quartier, c’est des animations. Pas au centre social, mais en haut. Parce que aujourd’hui, j’ai deux sortes d’habitants : Ici, et La Viste plateau. Et il se passe jamais rien. J’avais fait mille mètres de terrain pour les boules, y’avait de l’ambiance, les femmes, les enfants jouaient, c’était convivial. Je faisais aussi des animations à Brégante. On faisait monter les majorettes, on récoltait un peu de sous. Mais ils ont fait des HLM et des copropriétés. Tout ça, ça manque. Plus personne ne fait rien. Moi, ce quartier, simplement j’ai des rencontres, c’est tout.

K. - Pour vous, ce que vous aimeriez voir changer c’est retrouver ce temps où les quartiers se mélangeaient ?

G B. - Oui, ils veulent pas se mélanger. Ça, ça me fait du mal. Alors, avec le centre, je fais des kermesses, je reçois tous les élus. On s’en sort bien, parce que on a du financement, tout ça. J’ai demandé à ceux d’en haut, du 74 de descendre. Eh ben ils sont restés. Non, ils viennent pas. Il y a que les représentants des locataires, tout ça. On fait un loto pour les seniors, il y a des seniors qui ne viennent pas, parce que ils vont voir des fatmas, tout ça. Et quand je monte sur l’estrade et que je commence à danser, elles applaudissent et elles chantent. Moi, je voudrais que les gens d’en haut descendent rien qu’une ou deux fois, comme ça, je suis sûr qu’ils viendraient.

K. - Est-ce que vous connaissez le parc d’Hanoï ?

G B. - Je le connais très bien. J’y vais de temps en temps pour regarder un peu la mer. Alors, je vais vous raconter ce qu’on devait faire là, on devait rejoindre ce parc d’Hanoï au parc Brégante. Et Gaudin est devenu maire et il a vendu une partie bien au milieu, ce qui fait que le parc qu’il y a là haut, il est complètement abandonné. Les arbres sont montés haut. Moi, je les ai vu petits les arbres, ben maintenant ils sont hauts.

K. - Qu’est-ce que vous voudriez voir sur cet espace-là ?

G B. - Moi, je voudrai faire une sorte d’animation où les gens puissent tous se rencontrer, dans cet endroit. Mettre des associations qui montrent un peu ce qu’ils font, tout ça. Qu’ils installent des stands et que les gens viennent aux renseignements, voir ce qu’ils font. Et si on pouvait faire une petite place où recevoir, par exemple un petit groupe. Ça ferait un peu d’animations, ça ferait venir un peu le monde d’en haut, et le monde d’en bas, en essayant de faire pour les deux. Moi, je crois que ça pourrait se faire. Maintenant, les aménagements ça regarde ceux qui sont intéressés, un stand de boissons et un stand pour recevoir les associations de judo, de karaté... que les enfants soient sensibilisés à vouloir faire du sport. Ils pourraient rencontrer des gens qui pourraient les renseigner. Une grosse animation sur cette place. Mais la fermer. Parce que là, je réponds pas de ce qui pourrait arriver si on fait quelque chose et qu’on lève pas tout ces matériaux. Demain, il y a plus rien. Alors, essayer déjà de faire quelque chose comme j’avais demandé de faire en bas, un immeuble où on pourrait recevoir cinq mille personnes, par exemple. Quand vous allez faire un mariage dans ces quartiers, vous en avez pour sept, huit, dix briques des fois. Vous allez en bas, où il y a le dancing, c’est très cher. Et qui c’est qui y va ? C’est les Comoriens, les maghrébins, c’est eux qui payent. Il y a trois dancing, mais c’est drôlement cher. Et j’ai demandé ça, parce que les gens, ils ont rien dans le quartier, pour faire un mariage, un baptême ou quoi que ce soit. Alors, ils viennent dans les centres sociaux. Et le premier qui a fait la demande, c’est lui qui passe. Des personnes du treizième au quatorzième, me demandent si elle peuvent venir ici, je leur dis "Oui, mais placez votre demande vite fait, parce que il se peut qu’il y ait déjà quelqu’un." Il manque ces animations-là. Moi, j’aimais faire ces animations. On a fait du théâtre, on a fait venir des chanteurs. On a aussi créé des îlotiers, on a fait rentrer des jeunes dans la police pour essayer d’encadrer les jeunes. Mais aujourd’hui, c’est pas le même type de jeunes qu’il y a. Aujourd’hui, vous avez affaire à des quatorze, quinze, seize ans qui sont là et qui veulent pas rentrer au centre social, parce que pour eux, ça paye dehors. Ils ont qu’une chose à faire, surveiller les voitures. Parce que les voitures qui sont volées, elles sont parquées ici, comme ailleurs. Et si jamais il vient la fourrière, la police a reconnu une voiture et la lève, ils sont là pour communiquer l’information à ceux qui ont mis la voiture là, et ils sont payés pour ça. Alors, qu’est-ce qu’ils gagnent ces jeunes ? dix, vingt euros... Et puis après, on essaye de leur faire gagner de l’argent un peu plus haut. Ils se disent c’est facile, on va continuer. Alors, ils vous cassent les cabines téléphoniques, les poubelles. Tout ce qu’ils trouvent, ils cassent. Je sais pas, c’est une méchanceté ou c’est parce qu’on fait rien pour eux, ou quoi que ce soit. Mais ils veulent pas aborder le centre social, on s’en occupe pas, on les laisse dehors. C’est tout. Il y avait deux cabines ici, les cabines on en a besoin, y’a un malade, on téléphone. Et tu casses la cabine. Alors qu’est-ce qu’on se dit ? Tiens, il s’est installé ici un local où il y a des téléphones, il y a plus de cabines, ça arrange cette dame. Mais la nuit, comment ils font si ils ont pas de téléphone, pour appeler un docteur, la police ou les pompiers ? Elle est fermée le soir. J’ai discuté avec elle, elle m’a dit "C’est pas moi. Ils l’ont cassé, mais c’est pas moi". Mais ça arrange. Ça me fait penser. Au même endroit, il y avait un monsieur qui habitait. Je lui ai fait la synagogue en bas à Saint-Louis, et il a promis à Gaston Defferre, de faire une centaine de cartes.

K. - En fait, vous, vous lui avez fait la synagogue et en contre partie il y en avait cent personnes qui rentraient au PS ?

G B. - Oui. Et un jour, Gaston a dit "Je vais faire démolir les baraques..."

K. - La synagogue ?

G B. - Ouais. "Je vais faire démolir les baraques". On fait une réunion, l’élu, il me dit "Je vais m’en occuper." Il s’en est pas occupé. Je suis allé, avec ma femme. J’ai été invité toute la journée. J’ai dit "Voilà ce qui se passe : Vous avez promis de payer les cartes si il vous faisait une synagogue. Hors, vous prenez plus la carte. Il va vous la casser". Ça a été une longue discussion "Le président c’est pas moi, c’est eux, patati, patata..." Alors, ils m’ont invité. Sur des prières, c’était des veilleuses qui portaient le nom d’un grand rabbin, chaque veilleuse portait le nom d’un rabbin célèbre. C’est beau. Il va peut-être me faire quelque chose. Ma femme est catholique. Mes enfants, ils sont restés neutres. Moi, par mes parents, je sais même pas si je suis juif. On vient de Calabre, d’Italie. Et quand je fais des recherches, on trouve pas ça, on nous trouve dans le Moyen-Orient. Ça se peut qu’on est dans le Moyen-Orient, parce que BENISTI, ça s’écrivait comme ça BEN ISTI. Alors, la tribu c’était les enfants de dieu.

K. - Ce sont des gens qui venaient du Moyen-Orient.

G B. - Du Moyen-Orient, que les romains ont dû déplacer en Italie. Et après ils sont revenus en Tunisie. Donc, comme il y avait les allemands, ce nom a été raccordé. Y’en a en BI. Ma fille elle est avocate, elle s’appelle BINISTI.

K. - C’est une grande famille les BENISTI, il y a de grandes ramifications.

G B. - Oui. Un jour, je rencontre quelqu’un à la Canebière, qui descendait avec une valise et un chapeau mou. Il me dit "Monsieur, je voudrais aller sur Saint-Louis. Qu’est-ce que je dois prendre comme bus ?" Je lui explique. Mais en ce temps-là, je connaissais tout le monde. J’ai fait "Excusez-moi, vous voulez voir qui à Saint-Louis ?", il me dit "La famille BENISTI", j’ai dit "C’est moi, monsieur." Il me dit "Vous vous moquez de moi ou quoi ?" Je sors ma carte d’identité. Il me dit "Tu es le fils de Suzanne et de Simon ?" Je dis "Oui." "Eh ben, je vais voir tes parents." Il quittait le Maroc, parce que la politique du Maroc lui plaisait pas, et il est passé pour dire le bonjour à ma mère.

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