Insertion humaine, préservation de l’environnement
« Notre impact environnemental, c’est cette année, y’aura 1 200 tonnes de déchets qui iront pas en enfouissement ou dans la nature. Ce sont des objectifs quantifiables. Il faut savoir que un écran jeté dans la nature pollue 50 m³ pendant cinquante ans. Donc ça c’est un petit peu les indicateurs qu’on peut avoir. » Denis Bondil, 54 ans, gérant de la structure Micro’orange.
Koinai : En quelle année a été créée l’entreprise ?
La démarche existe depuis 1998. Dès le départ, on a eu l’aspect rénovation dans nos boutiques, et l’aspect déconstruction sur la plate-forme des Milles. Initialement, l’objet était de récupérer du matériel auprès des entreprises, de le rénover en le proposant à des personnes en poste d’insertion, et de le rendre accessible financièrement aux budgets modestes comme le milieu associatif, les écoles ou les particuliers. On s’était rendu compte dès l’origine qu’y avait une problématique sur le matériel qui ne pouvait pas être rénové et qu’il était nécessaire, étant sensibilisés à la réglementation qui se mettait en place, de réaliser une plate-forme de déconstruction.
K : Quel est le statut de Micro’orange ?
Notre entreprise d’insertion a un statut de SCIC, société coopérative d’intérêt collectif, en conformité avec la nature de notre activité qui est à la fois l’insertion et la protection de l’environnement.C’est un statut relativement récent, mis en place pour aider les structures d’insertion à statut associatif à évoluer et se professionnaliser en adoptant un statut de société, c’est-à-dire SARL et à travers un agrément préfectoral, leur permettre de conserver des liens avec les collectivités territoriales.
K : Avez-vous eu un modèle pour créer l’entreprise ?
Non, si ce n’est celui que nous nous sommes créé nous-mêmes, puisqu’on est assez pionniers dans cette activité, qui était une activité nouvelle. Nous avons tout imaginé et réalisé en prenant compte différents paramètres et exigences, notamment l’organisation de la production, le respect de l’environnement, et le projet social à l’intérieur de l’entreprise. On a été reconnu à différents titres, puisqu’on a été récompensé entre autres par le Prix Crea 13 du département et le Master Entreprise à Paris au Sénat - je dis pas ça de manière narcissique, mais c’est un bon vecteur de communication. Notre volonté, aussi, c’est quand même de faire savoir ce qu’on fait.
K : Quel a été le moteur de cette création ?
Ah ! c’est ma volonté à moi ; étant dans le social à l’origine - puisque j’étais éducateur spécialisé de formation, cadre dans l’enfance inadaptée - par rapport à une réflexion sur mon parcours professionnel, à un moment donné, j’ai voulu créer de l’activité d’insertion, parce que bien souvent les personnes dont on avait la charge étaient les premières à venir buter sur le mur du chômage. Je m’intéressais aussi à la micro-informatique en tant qu’outil pédagogique.
K : Quelle est votre zone d’implantation ?
On a un réseau de boutiques sur Aix et sur Marseille, et notre plate-forme dans le pôle d’activités d’Aix-les-Milles. On a aussi un projet, d’essaimer notre expérience : sur l’île de la Réunion, une structure d’insertion a répliqué un peu notre démarche, et a souhaité emporter notre nom, donc y’a actuellement micro’orange à la Réunion ; en Champagne-Ardennes aussi, on a essaimé dans différentes régions du territoire. Donc certaines structures ont été intéressées par notre démarche, et ont souhaité le reproduire sur leur territoire.
K : En quoi consiste votre activité ?
Y’a deux aspects : la rénovation - ici le responsable de notre boutique, « Monsieur » Fabien, récupère le matériel et le rénove en changeant le disque dur, en mettant un peu plus de mémoire, un système d’exploitation plus performant, avec son équipe de techniciens - sur Aix et sur Marseille et aux Milles, l’activité est radicalement différente : ça consiste à déconstruire le matériel, à trier les différents composants - disque dur, barrette mémoire, processeur, plastique, ferraille, et cetera - , à dépolluer les écrans, c’est-à-dire qu’on ouvre les globes un peu comme des œufs à la coque et les poussières luminorescentes qui sont extrêmement polluantes sont aspirées. Ensuite, on oriente les composants déconstruits vers des filières agréées de valorisation : la ferraille on en fait du fer, le plastique on refait du plastique… Les différents composants sont valorisés par des structures spécialisées qui récupèrent les métaux précieux qu’il peut y avoir, notamment sur les cartes électroniques, et tout l’aspect cuivre, bobinage et cetera, ce qui permet de réutiliser ces différents produits. C’est important parce qu’en terme de protection de l’environnement, le réemploi permet de ne pas extraire, transformer et transporter de matière première, et c’est une façon plus efficace de lutter contre la pollution et agir sur la préservation de l’environnement en privilégiant au maximum le réemploi.
K : Que traitez-vous ?
Vous faites bien de poser cette question parce que historiquement, le matériel micro-informatique était notre cœur de métier mais petit à petit, la réglementation s’est imposée aux différents produits d’équipements électriques et électroniques, donc aujourd’hui on fait aussi bien le matériel informatique et bureautique que ce qu’on appelle les produits blancs : frigos, machines à laver, et cetera. On dépollue les frigos en pompant le fréon, qui est extrêmement nocif par rapport au trou de l’ozone, on dépouille le plastique, le verre et cetera, et on fait en sorte que chaque composant aille de la même façon que pour les produits informatiques…
K : Qui vous fournit les DEEE (ndlr : déchets d’équipements électriques et électroniques.) ?
Depuis 2002, les entreprises avaient l’obligation réglementaire de faire traiter leur matériel, elles avaient plus le droit de mettre directement leur matériel en décharge. Donc, on a travaillé essentiellement avec les entreprises et les grandes organisations administratives et aujourd’hui, la réglementation s’impose aussi aux collectivités et aux grandes enseignes, c’est-à-dire aux particuliers, à travers les déchetteries et les grandes enseignes qui ont l’obligation du « un pour un » : lorsqu’elles vendent un objet, elles sont tenues de reprendre l’ancien. D’autre part, les particuliers apportent dans les déchetteries donc ça ne va plus directement en décharge, en enfouissement, ça passe par des structures de valorisation. La réglementation existe depuis peu, août 2005, mais c’est très long à mettre en place : des éco-organismes collectent de l’argent auprès des constructeurs et des producteurs - parce que là ce sont eux les responsables, pas les particuliers - et ces fonds collectés rémunèrent les collectivités pour absorber le surcoût du traitement occasionné, de même que les grandes enseignes, les supermarchés. Il s’est mis en place dans chaque région, conformément aux directives européennes, des plate-formes de valorisation, que ce soit les éco-organismes qui reçoivent l’argent des constructeurs ou des importateurs qui financent cette action de valorisation en aidant les collectivités et les supermarchés. Et y’a eu des appels d’offre, et là je viens d’apprendre que notre structure a été « agréée » pour traiter tout ce qu’on appelle le PAM, petit appareil ménager, pour tout le PACA : tous les aspirateurs, les imprimantes et cetera de PACA vont venir chez nous. Pour nous, c’est extrêmement encourageant parce que plus les volumes de déchets augmentent, plus on crée de l’emploi.
K : Comment s’effectue la collecte ?
Y’a trois solutions : soit les entreprises apportent le matériel, soit nous allons le collecter et nous réalisons l’enlèvement, soit c’est vraiment des gros gisements et là, c’est Veolia propreté, un grand collecteur de déchets généraliste, qui met des grosses bennes de 30 m³ dans lesquelles l’entreprise met son matériel. On a eu aussi un partenariat avec Veolia et lorsqu’il avait des DEEE, des déchets d’équipements électriques et électroniques, il les apportait chez nous. Eux, ils sont équipés de camions et de bennes, et nous, nous avons une petite flotte de fourgons.
K : Quelle est la quantité de déchets traités ?
On fait à peu près 100 tonnes au mois actuellement ; ça fait à peu près 25 tonnes/semaine, donc 5 tonnes/jour. Chaque année, on a pratiquement doublé nos tonnages depuis 2002, puisqu’en 2002 on avait fait 120 tonnes, 2003 : 640, l’année dernière : 890 et cette année on va dépasser les 1 200 tonnes, sachant qu’avec les PAM, petits appareils ménagers dont on vient d’avoir le marché, c’est un gisement de 2 000 tonnes, donc sur 2007 on va avoir 2 000 tonnes de PAM plus nos… on va tripler notre volume.
K : Que deviennent les matériaux recyclés ?
Soit c’est rénové en tant qu’objet, soit c’est réutilisé et rénové en tant que composant, donc tout ce qui est ferreux, non ferreux, plastique, et cetera, ça permet de repartir dans le circuit de la production.
K : Y a-t-il des déchets non recyclés ?
Heu… oui, certains plastiques vont en décharge contrôlée, à Septèmes mais ça représente, je crois, un taux de valorisation de 97 %. Ah ! oui, c’est très important.
K : Quelle est l’infrastructure nécessaire ?
Notre plate-forme fait 700 m². On a douze opérateurs en déconstruction, entre les chauffeurs, les déconstructeurs, le chef d’équipe, ça ce sont les moyens humains ; nous avons des outils pneumatiques pour dévisser, les fourgons pour aller chercher, des élévateurs pour transporter les palettes. On a aussi - et c’est très important - mis en place une traçabilité complète du traitement de nos déchets, donc, au kilo près, on peut savoir ce qui est rentré sur notre site et dans quelle structure agréée il a fini.
K : Pouvez-vous décrire la chaîne d’exploitation ?
Alors, le matériel arrive, il est pesé, identifié. Une fiche d’entrée, d’identification est établie au nom du client, qui liste les différents objets dont il est constitué, écran, frigo... Ensuite nous déconstruisons, nous pesons chacun des composants du lot : câble, fer, carte de composants, disque dur, barrette, plastique, aussi. C’est rassemblé sur la fiche de construction, ensuite chaque composant est expédié dans différentes filières appropriées, et ce qu’on appelle la fiche d’expédition dit les composants qui constituaient votre lot, et dans quelle structure ils ont atterri. Avec ces trois fiches-là qu’on remet à notre client, il a la certitude que ça a pas atterri dans la nature. Ç’a été aussi notre originalité, d’apporter une traçabilité complète du traitement, différemment de certaines structures qui apportaient pas du tout ce genre de d’information.
K : Quelles sont les contraintes liées à l’activité ?
Notre contrainte, c’est le flux irrégulier d’apport des déchets : des fois ça arrive vraiment en masse, on est débordés et après ça baisse, donc la difficulté est de jouer là-dessus en terme d’organisation, de moyens humains. Sinon, notre activité est soumise à autorisation préfectorale, notre site est classé ce qu’on appelle ICPE, Installation Classée Protection Environnement : on a un certain nombre de contraintes réglementaires, pour lesquelles la Préfecture délivre une autorisation si vous êtes en capacité de montrer que vous les réalisez réellement.
K : Quels problèmes rencontrez-vous ?
Au niveau de la citoyenneté, et cetera ? Ça, c’est le cadre réglementaire qui supplée. Historiquement, les particuliers qui étaient conscientisés venaient vers nous et dans une démarche citoyenne, on acceptait de traiter leurs déchets. D’ailleurs ici, ce qui est dans la boutique, dans cette démarche citoyenne, les gens viennent se débarrasser de leurs déchets plutôt que de les mettre en décharge et nous les traitons, donc ça, c’est notre apport. Ensuite, les entreprises ont l’obligation légale, donc. Certaines jouent plus le jeu que d’autres, mais quand même la sensibilisation devient de plus en plus présente, aussi bien au niveau des particuliers que des entreprises. On sent fortement une évolution des mentalités et une prise en compte de cette problématique ; oui, on le ressent très fort, ça. Y’a quelques années, on était regardés un petit peu comme… des êtres particuliers ; bon, ça s’est bien…
K : Quel est l’effectif de votre entreprise ?
Actuellement on est trente-trois personnes, dont vingt-six postes en insertion et une équipe d’encadrants.
K : Comment le personnel est-il formé ?
Le personnel est accueilli à travers les différents services d’accompagnement à l’emploi qui proposent les candidatures, ensuite ces candidatures sont validées par l’ANPE qui donne un agrément, vérifie que le dossier correspond aux exigences, et les personnes sont employées. En boutique, il y a une formation au poste de travail - ici c’est Fabien qui forme les techniciens, en continu - et pour les Milles, les gens bénéficient d’une petite formation à leur arrivée ; ça demande pas une grande technicité, donc on saura rapidement si vous vous intégrez à la production.
K : Comment vous êtes-vous fait connaître ?
En essayant de communiquer le maximum en utilisant différents réseaux : le réseau de l’insertion, le réseau de l’environnement, le réseau économique, en participant à différentes manifestations événementielles, à travers les différentes distinctions qu’on a eues, qui avaient pas d’autre finalité que de faire savoir ce qu’on faisait, puis voilà, quoi. Mais la communication a été quelque chose d’important dans notre démarche. On a toujours été très sensibles à faire savoir au maximum qu’on existait et ce qu’on faisait.
K : Quels sont les coûts et les bénéfices ?
En tant que structure d’insertion SCIC, on est une structure à but non lucratif. Si on fait des bénéfices, il faut déduire les subventions perçues, donc notre fonctionnement relève plus de 45 % de subventions. On équilibre nos coûts, ça représente en gros un budget annuel d’un million d’euros sachant qu’on arrive à équilibrer nos comptes, ce qui est bien, parce que y’a quand même beaucoup d’entreprises d’insertion qui ont été en difficulté, qui ont dû malheureusement cesser leur activité et fermer.
K : L’activité connaît une nette évolution ?
Ah oui ! puisqu’en 2002 on était quatre, trois emplois d’insertion et moi-même, et aujourd’hui on est trente-trois. On a connu une progression extrêmement satisfaisante, à double titre.
K : Et quels sont vos projets ?
Les projets, justement, c’est de créer un site plus grand parce que les marchés avec les déchetteries et cetera vont générer beaucoup plus de volume et on risque d’être rapidement à l’étroit. Ensuite, développer le réemploi au niveau des produits blancs, parce qu’aujourd’hui on fait que du réemploi au niveau de l’informatique mais on souhaite rénover des frigos, des machines à laver et avoir des surfaces de vente par rapport à ça.
K : Quelles réglementations gouvernent votre activité ?
C’est toute la réglementation qui régit les déchets d’équipements électriques et électroniques. Notre activité est essentiellement liée à cette réglementation, qui fait obligation aux entreprises et maintenant aux particuliers, à travers des supermarchés, de traiter ces déchets, qu’ils n’aillent plus directement en décharge. Je pense que les choses seront réellement opérationnelles à partir donc du quinze novembre, donc l’ensemble de ces déchets seront traités.
K : Quelles améliorations envisageriez-vous pour votre entreprise ?
C’est de continuer la démarche dans laquelle nous sommes, puisque nous sommes certifiés ISO 14 001 et ISO 18 001, ce qui est quand même assez remarquable pour une petite structure d’insertion comme la nôtre. Le souci d’amélioration s’inscrit en continu et au quotidien à travers cette démarche de certification, et différents process : c’est une politique globale du fonctionnement de notre entreprise, à travers cette volonté de rester certifiés 14 001.
K : Êtes-vous en contact avec d’autres entreprises de recyclage ?
Oui, à travers les valoriseurs qui sont derrière nous. Dans notre région, y’a peu de structures comparables à la nôtre : je crois qu’il faut aller sur Montpellier, Lyon, Paris, actuellement. Sinon, nous sommes en relation avec les différentes structures d’insertion pour l’activité, au niveau du transport ou d’autres activités.
K : Comment se porte le recyclage à Marseille ?
On est un peu en relation avec les responsables de la Ville, du service technique, et y’a une volonté réelle sur Marseille que les choses s’organisent et soient réellement opérationnelles, ça c’est indéniable. Depuis plusieurs années, avec les services responsables des déchets de la Ville de Marseille, on a mis en place une expérience pilote qui consiste tous les trimestres ou les semestres, à appeler les habitants de la ville de Carry à venir un samedi matin apporter leurs déchets dans des containers que nous avons mis en place avec des camions, pour à la fois leur offrir une possibilité et sensibiliser les gens à cette problématique, et permettre justement à la Ville de Marseille à travers cette expérience, de se rendre compte des différentes problématiques qu’il peut y avoir en terme de logistique, de traitement, de coût du traitement, de containers et cetera. C’est pour ça que je vous dis que oui, Marseille se soucie de ses déchets ; elle a déjà bien anticipé cette réglementation, à travers cette expérience pilote.
K : Et chez vous, triez-vous vos déchets ?
Oui, chez moi - j’habite sur Aix-en-Provence - je fais un tri sélectif puisque j’ai la poubelle jaune et la poubelle bleue ; donc je trie mes déchets parce qu’il a été mis à disposition ces containers spécifiques, et d’une manière plus générale, ayant différentes bennes sur mon site, j’utilise mes bennes à carton, mes bennes à plastique, à traiter mes propres déchets et les déchets de mon environnement immédiat, relationnel : mes amis, ma famille, et cetera. Je suis bien repéré pour ça : on va voir Denis, on lui mène ses déchets, voilà !
Propos recueillis le 13/09/06 par Odile Fourmillier.
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