Tri mode équitable : le citoyen, ses déchets et la transparence
« Quand j’étais petit, on jetait la poubelle devant la porte, y’avait même pas de containers à poubelles sur Marseille. Tous les gens, dans les rues, ils jetaient la poubelle en bas de chez eux ; certains parmi mes voisins par la fenêtre. C’était très freestyle. Y’avait des rats de partout. La moindre grève des éboueurs, c’était catastrophique. Et ils ont construit les containers y’a pas longtemps donc, la prise de conscience des Marseillais s’est fait vraiment récemment. Si y’a pas une politique d’accompagnement du traitement des déchets au niveau de la population par l’installation d’équipements, par la communication, l’information, la sensibilisation, y’a peu de chances que les gens ils aillent eux-mêmes en Allemagne chercher des solutions. » Sylvain, 30 ans, "animateur" à l’Équitable Café.
Koinai : Effectuez-vous un tri sélectif dans votre établissement ?
On fait un tri, nous, sur le verre et le papier. C’est ce qu’on a à disposition (ndlr : les containers) en fait ici, pour faire un tri effectif véritablement réalisé par la communauté, après. Le truc, c’est si jamais on trie tout ce qui est emballages, canettes et tout, de toutes façons c’est pas remis en valeur derrière, ça atterrit en plein air. Je suis même pas sûr que le papier, le verre et tout… Les moments de gros coups de bourre, ils se cassent pas le cul, ils le gardent pas là-bas non plus. Honnêtement je sais pas comment ça marche, je sais pas du tout où va le papier, où va le verre…
K : Effectuez-vous ce tri depuis le début ?
Ah ! Tout le temps, oui.
K : Des aménagements ont-ils été nécessaires ?
Ah non, c’est le bordel ! Quand on recycle le verre, on met les cartons en bas, là, les cartons qu’on garde en haut, on les met en bas, ça s’empile, ça va dehors, ça s’empile.… Et quand on fait une grosse soirée, on a les deux côtés des vitres remplies de cartons ; des piles de cartons. Et après on passe une heure devant les containers, là…
K : Où et comment transportez-vous les déchets ?
Ah, ça par contre, c’est en voiture. Quand on a cent vingt cartons à jeter, on y va en voiture. On a soit le cours Julien, soit le boulevard Eugène Pierre, ça dépend qu’est-ce qu’on fait, où on va, donc quand c’est qu’on décide de les jeter, quand c’est qu’on a la voiture. Parce qu’on vient pas tous les jours en voiture non plus.
K : Qui s’occupe du transport ?
C’est moi.
K : Cela représente-t-il un coût ?
Non, si ça n’est un coût de temps. Ça prend au moins trois quarts d’heure, plus : une heure, voire une heure et demie si jamais je suis seul et qu’y en a beaucoup. Ouais, non, c’est moi qui le fais, c’est pas… Mais après on est en association, donc on va pas compter le temps qu’on passe, c’est pas une main d’œuvre salariée. Par contre c’est vrai qu’une structure qui salarie les gens et qui voudrait le faire, bè, à moins que le mec il soit un serveur écologiste super motivé qui veut donner des leçons, en plus, de pédagogie à son patron, il va être obligé de le payer, quoi.
K : Quelles contraintes cela représente-t-il ?
Nous, c’est le temps. Mais c’est pas vraiment une contrainte… Moi, en plus ça me permet, quand je jette les bouteilles, de voir ce qui a bien marché. C’est pas vraiment une contrainte, c’est… Si, c’est vrai que c’est chiant quand ça commence à s’accumuler beaucoup. Si je le fais pas régulièrement là, c’est vraiment… Y’a des moments où c’est démoralisant. Ouais. Je me dis : "Putain, il faut que j’aille jeter le verre" et vu que j’ai pas la voiture, bè… j’attends. J’attends, j’attends, et puis un jour je me dis : "Bon, allez, ce matin je prends la voiture, comme ça je jette le verre et voilà."
K : Cela représente-t-il un bénéfice ?
Y’en a pas ; souvent on est là, on délire, en fait, quand on est deux ou trois, les gens ils regardent, ils nous voient avec tous ces verres, et même la dernière fois que je l’ai fait - j’étais seul au cours Julien - y’a des gens qui sont venus, qui m’ont aidé, qui parlaient… Ah ! Ca fait des échanges ! En plus, je le fais devant des bars : au cours Julien, c’est devant un bar-tabac et un bar classique, là ; je le fais devant eux. Ils me regardent, et moi je les regarde, j’ai des tonnes de cartons… Après je sais pas s’ils le font derrière, mais en tous cas ça participe aussi à une sensibilisation, vu qu’ils me voient faire des tas de cartons. Et même les gens qui passent, ils disent : "Putain ! Moi je pourrais juste avoir une caisse là, je pourrais le faire." Donc bon… c’est un peu dans ce sens-là aussi, moi c’est beaucoup ce sens-là aussi. Je sais que ça percute bien parce que j’arrive avec des tonnes de carton, et je passe des heures à les virer, et après je déplie les cartons, et je les mets dans le papier. Mais ça, je sais pas si c’est bien ou pas, parce que le carton je sais pas si c’est le même container que le papier. Mais je me dis que ça doit pas être chiant à trier, donc… Quand ils trient ils doivent pouvoir faire moitié carton, moitié… Je sais pas, je crois que au niveau du recyclage c’est pas le même procédé, donc ils doivent pas les laisser ensemble.
K : Qu’est-ce qui vous a incité à faire ce tri ?
Bah, ça c’est… Y’a pas eu vraiment d’incitation, on sait qu’y a les bacs, donc on le fait, quoi, c’est tout. Nous on l’a et puis on le fait nous, c’est… Ça va, c’est naturel, c’est pas trop une recherche qu’on a fait pour aboutir derrière.
K : Quels sont les déchets qui ne peuvent pas être valorisés ?
Nous, on a les bouteilles en plastique, les canettes et tout. On pourrait faire l’effort de partir jusque dans le huitième ou le neuvième où y’a des bacs à déchets ménagers, emballages, et je crois qu’y en a même un peu dans le quinzième si je me trompe pas, le quatorzième. Mais pareil, là, même principe, vu que y’en a que dans ces arrondissements-là, je me demande si, vraiment, il est trié, ou est-ce qu’ils le mettent dans les beaux quartiers comme ça ils disent : "Regardez ce qu’on fait." Et ils prennent une avance, ils vont dire : "Plus tard on va peut-être les trier, les remettre en valeur."À moins qu’on les incinère, parce que là ils sont plus proches des incinérateurs que d’un vrai centre de tri.
K : Communiquez-vous votre démarche auprès de la clientèle ?
Ah ouais, ça oui ; mais par l’utilisation, justement, des produits. Puis même les gens qui viennent ici, ils sont souvent sensibilisés. Même les gens, ils voient bien que on fait des piles de cartons, qu’on fait des piles de papier, comme ça. Et du coup on essaye de sensibiliser. Mais, c’est plus après, est-ce qu’on a le temps de faire une sensibilisation officielle et permanente ? Non. Mais après ça va être sur des thématiques ; on a déjà fait des thématiques sur la gestion des déchets. Là, en septembre, on devait en faire une aussi sur l’incinérateur parce qu’y avait deux mois, c’était la journée internationale contre l’incinération, et on n’a pas eu le temps, les intervenants étaient un peu à droite à gauche, et… Ouais, ça va être plus sur des programmations dans le café, quoi, parce qu’on fait beaucoup de soirées ici aussi.
K : Utilisez-vous des produits recyclés ?
Pour tout ce qui est buffet - parce qu’on fait des buffets aussi - on travaille avec Alternative [1]sur les couverts, assiettes, verres, les trucs comme ça, pas forcément recyclés mais en tout cas compostables. Le papier par contre, c’est recyclé, ouais. Mais sinon même dans les travaux, là - on a fait des travaux d’aménagement - soit on achète des trucs parce qu’on veut que ce soit propre, soit on fait de la récup et on se démerde avec. Ouais, y’a quand même une volonté de réutilisation, puisque de toutes façons y’en a plein les rues, et que c’est sûr que ça fait un avantage écologique. Mais ça fait aussi un avantage économique pour une association qui a pas beaucoup de revenus.
K : Pensez-vous être assez informé en matière de recyclage ?
Non. C’est sûr qu’y a pas de campagne d’information. Alors, il y a les pôles Info Énergie, mais la plupart du temps ils savent pas du tout où ça en est au niveau recyclage. Je veux dire, moi, j’apprends plus de la part de gens qui viennent souvent de l’étranger ou du Nord et qui me disent : "Oui, nous…" En Allemagne par exemple, ils savent retraiter 80 % des déchets, que nous ici on a deux, trois trucs qu’on sait traiter mais eux ils en ont le triple ou le quadruple. Puis après c’est une question de volonté aussi : moins d’incinérateurs, ça permet de créer des usines de revalorisation de plastique qu’on savait pas retraiter et qu’on apprend à retraiter ; et à la fois y’a de la recherche et à la fois y’a de la rentabilité, parce qu’aussi derrière, faut pouvoir le faire. Et nous ici y’a pas beaucoup… Et puis après il doit y avoir aussi une démarche des collectivités locales, de dire : "Nous on sait recycler tel plastique, tel plastique, et on demande aux industriels de pas ramener d’autres plastiques qu’on sait pas recycler." Toutes les fins de raffineries, là - les petits plastiques de merde qui sont les déchets finalement du pétrole - ça, faudrait l’interdire. Et ils sont capables de l’interdire au niveau collectivités locales, si ils disent : "Si tu veux tu peux faire venir ces plastiques-là, mais à chaque fois on te mettra une amende de tant." Ben, le mec, au bout d’un moment il va se dire : "Bon ben ça me coûtera moins cher de faire venir les bons plastiques"… Et voilà.
K : Savez-vous ce que deviennent les déchets, une fois recyclés ?
Non, j’en sais rien. J’ai un collègue qui a fait une enquête parce que justement il voulait piéger un peu la Mairie de Marseille sur ça. Il est allé voir, il avait fait une espèce de mini enquête reportage sur le papier, et il disait que ça tenait la route parce qu’y avait un truc à la Capelette, et apparemment le papier il est tout viré là-bas, et donc il serait réutilisé. Alors recyclé comment… ? Vu qu’ils ont pas d’infrastructure et tout, je sais pas… Mais sûrement remis en valeur en l’envoyant dans une usine qui fait du papier recyclé ou des trucs comme ça, je suppose. Et le verre, je sais pas. Le verre, ils faisaient ça depuis longtemps de toutes façons, donc… Avant, au début, c’était la lutte contre le cancer, et cetera, donc c’est pas… Moi quand j’étais petit je croyais qu’avec le verre on luttait contre le cancer en direct, que ça soignait les gens… Donc ça fait longtemps. Mais je sais pas où ça va. Sûrement c’est dans des fonderies, recyclage de verre, c’est une des seules choses qu’on doit bien pratiquer ici.
K : Quelles améliorations souhaiteriez-vous en matière de recyclage ?
Moi c’est plus personnel, moi j’aimerais bien qu’y ait de l’information qui soit faite sur la gestion des déchets ; moi dans ma tête ce serait plus à la commune, au lieu de faire des gros panneaux "Marseillais, respectons notre ville", c’est "Marseillais, sachez que vos déchets, si jamais vous les triez, ils seront retraités là, ils seront revalorisés comme ça, y’aura tant d’emplois qui seront créés dessus", et cetera et cetera. Ça doit être des communications qui doivent être faites à un niveau pédagogique. Puis y’a toute une explication à donner, faut donner l’information. Moi c’est pareil, je suis comme tout le monde, si je me dis : "Je me casse le cul à trier, et que derrière ça part en décharge en plein air, c’est pas la peine." Donc moi je le fais parce que je travaille en terme de sensibilisation dans l’association. Je peux comprendre que les gens qui sont pas au courant, qui savent pas si ça va à la décharge ou si ça va réellement dans un centre de tri sélectif, si ils vont le faire avec le même entrain, quoi.
K : Depuis quand l’Équitable Café est-il ouvert ?
Le café en lui-même, il existe depuis 2002, mais il a été créé par une autre association qui s’appelle Abondance, qui est partie à Toulouse, là, et nous on a récupéré le café en avril 2005.
K : Pouvez-vous présenter l’activité du café ?
Déjà, l’association en elle-même existe depuis plus longtemps que la reprise du café. C’est l’association En Visages : envisager à plusieurs visages. Elle existe depuis 2003, ou 2002, je sais plus. À la base, on a fait cette association-là avec des amis, un paysan et un cuisinier, pour partir un peu sur les routes, aller à la rencontre de tout ce qui se fait en alternative, pour valoriser les activités à l’échelle humaine et respectueuses de la nature et de l’environnement et surtout de l’homme ; replacer un peu l’homme au cœur de l’économie, parce que l’économie, justement, c’est le nerf de la guerre. Donc on l’a fait dans ce but-là. Alors, après, comment on s’est organisé pour essayer de communiquer tout ça ? Bè, ça s’est fait sur le tas. Quand on faisait un buffet on allait voir les paysans du coin, on leur demandait qu’est-ce qu’ils avaient comme produits, et par rapport à ça on faisait nos menus. Donc ça nous prenait double de temps, en fait : on faisait d’abord une prospection, après l’élaboration des menus, et après le buffet. Et en produits frais, donc on mélange les produits qu’ils ont, les paysans, et après on travaille avec les produits du commerce équitable, en se renseignant sur la façon de considérer le commerce équitable, parce que là aussi y’a encore plusieurs façons de pratiquer. Donc, nous, on va à l’encontre, en fait, de ce qui est utilisé en produits marketing, voilà, contre les supermarchés, contre le pseudo label Max Havelaar, tout ça. Donc c’est un peu David contre Goliath, mais de toutes façons, bon, ça a toujours été comme ça, et comme y’a pas d’alternative aux alternatives, un jour ça sera le sens inverse.
K : Chez vous, faites-vous un tri sélectif ?
Ouais, le verre et le papier. Mais pas les emballages. Là pour de multiples raisons on va habiter dans le neuvième, donc y’a les emballages sélectifs, et alors nous on va le faire à travers les poubelles. On va vivre en collocation, donc on va sûrement installer des containers de tri sélectif et trier les déchets en entier, dans la totalité. Bon, nous, toutes façons, on va pas au supermarché si ça n’est pour acheter la bouffe du chien, ce qui me paraît être le seul produit acceptable, et donc on n’a pas beaucoup d’emballages vraiment de produits, mais voilà, on va quand même faire un tri sélectif, et derrière, ben du coup j’aimerais bien me renseigner, faire des études ; mais y’a pas mal de gens qui veulent le faire dans le milieu alternatif de Marseille, on est un peu tous en relation, y’a pas mal de gens qui font des trucs, qui font des études. Le truc, c’est je me suis jamais encore vraiment penché sur le sujet. Plus sur le traitement des déchets en général au niveau global, mais sur le local j’ai pas encore fait la démarche bien approfondie bien que y’a des gens qui m’en aient parlé, et qui sont au courant de pas mal de trucs. Enfin, moi je discute, je me fais des plans, j’imagine, et après j’oublie ce qu’on m’a dit vraiment qui existait, je sais plus.
K : Depuis quand vous intéressez-vous à la question ?
Moi ça m’est venu parce que j’ai beaucoup voyagé, aussi, et que j’ai vu donc ce qui se faisait à droite à gauche. Mais quand même, la principale raison c’était dans les Alpes, une petite association - putain ça fait longtemps, hè, ça fait au moins quinze ans - qui récupérait les déchets et qui en faisait du biogaz. À l’époque c’était assez révolutionnaire dans la région parce qu’y avait personne qui faisait ça et eux ils l’ont fait, c’était des précurseurs. Et depuis, c’est fait par la collectivité au niveau carrément départemental. L’enfouissement des déchets sur des grandes bâches, avec une base en argile dessous, et des bulles de récupération de biogaz. Mais bon, maintenant on fait ça à Paris ; au Québec ils ont pas attendu qu’on existe pour le faire. Voilà, c’est un peu transformer les merdes en or, c’est la vraie valorisation ; le mec - j’étais jeune en plus, j’avais quinze ans - il m’avait bien expliqué pourquoi il faisait, comment il faisait, que derrière, finalement, il arrivait à chauffer les maisons de tout le village. C’était impressionnant, c’était passionnant. C’était un précurseur donc il faisait ça avec des petits moyens, et ça marchait très bien. On sait en plus que tu peux faire ça avec des petits moyens, tu as pas forcément besoin d’une infrastructure super moderne qui coûte des milliards et qui endette la collectivité locale sur vingt ans.
Propos recueillis par Odile Fourmillier le 12/09/06.
[1] Papier recyclé, vaisselle biodégradable, fournitures écologiques, coton biologique, produits d’entretien écologiques, alimentation biologique, 04 91 92 74 90.
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