De formation médicale, François Razakatiana, 47 ans, a quitté Madagascar pour la France en novembre 97 afin de suivre une étude de spécialisation, prévoyant un séjour d’un an. Mais depuis son enfance, il a connu une existence migratoire, à la recherche d’une vie meilleure. Il envisage aujourd’hui de rester en France… pour l’instant.
Koinai : Pourquoi avez-vous choisi la France ?
Parce que Madagascar est une ancienne colonie française, donc on parle déjà le français, et comme moi j’ai aussi vécu pendant la période coloniale, donc c’était plus facile d’assimiler la langue, et on vivait déjà à l’européen à Madagascar, l’adaptation a été facile.
K : À votre arrivée, êtes-vous passé par une association malgache pour vous loger ?
Non, c’étaient les membres de ma famille installés ici qui m’avaient accueilli et hébergé pour un temps, je n’ai pas eu l’occasion de passer par les associations malgaches.
K : Avez-vous exercé la médecine à Madagascar ?
Oui, pendant cinq ans… cinq années dans un cabinet médical à Madagascar.
K : Quelle formation avez-vous suivie ici ?
La formation ? C’était un diplôme sanctionné par l’université, qui s’intitule « Pathologie et soins d’urgence » réservé aux médecins en formation, mais en plus, j’ai eu l’occasion de passer des examens sur d’autres capacités de diplôme universitaire… auxquels les infirmiers peuvent s’inscrire, quoi.
K : Qu’est-ce qui vous motivait pour passer ce diplôme ?
Je l’ai fait pour que je sois plus stable financièrement et économiquement. Le statut d’étudiant limite toutes mes actions pour trouver un emploi stable, donc il fallait recourir à cette opportunité.
K : Cette formation vous a-t-elle servi ?
Non… pas du tout. Non, ça ne m’a pas servi parce qu’en fin de compte… je n’exerce pas en tant que médecin, ici, mais en tant qu’infirmier diplômé d’Etat français.
K : Vous n’aviez pas la possibilité de poursuivre vos études en médecine ?
Si, si, si… mais disons, j’ai choisi cette voie. En tant qu’immigré, la dénomination d’infirmier acquise par la possession de mon diplôme de doctorat d’Etat m’a permis de changer mon statut "étudiant" en statut "salarié". Pour moi, l’essentiel, c’est le fait de pouvoir travailler, et le fait d’acquérir ce statut de salarié me permet d’exercer le métier d’infirmier. D’ailleurs, j’en ai assez d’être un éternel étudiant.
K : A-t-il été difficile de trouver un emploi ?
Non, non, parce qu’il manque cruellement d’infirmiers ici en France et c’est vraiment une chance pour moi d’avoir évolué dans la branche de la médecine et de pouvoir y rester dans ce domaine.
K : Êtes-vous satisfait de votre parcours professionnel ?
Pas trop satisfait, parce que je suis en train de chercher encore un autre pays pour s’expatrier… Mais en fait, ceci est encore dans le domaine de projet, qui ne va pas dépendre de moi seul. En tout cas je vais encore rester un petit bout de temps ici. Pour l’instant, parce que là… vous savez que ça fait dix ans que je suis ici, il me serait difficile pour moi de vivre à Madagascar. Pour le moment, quoi, parce que je ne peux pas y retourner là-bas sans projet bien défini car en fait, il n’est pas facile de trouver du travail bien rémunéré, même si on est médecin.
K : Dans la pratique, avez-vous constaté une différence entre la médecine française et la médecine malgache ?
Effectivement, il y a une sacrée différence car la médecine française est fondée sur une enquête en profondeur de l’origine de la maladie, c’est-à-dire que l’on fait passer des analyses, des radios… Et en plus de cela, l’utilisation des nouvelles technologies et des matériels médicaux pour confirmer les diagnostics sont des atouts que la médecine malgache n’a pas encore au moment de mon arrivée en France. En fait à Madagascar, les diagnostics sont fondés surtout sur des signes cliniques, et cela est dû au fait de l’absence de certains matériels et accessoires médicaux.
K : Quelle est votre situation familiale ?
Je suis marié et j’ai deux enfants.
K : Votre famille s’est bien adaptée ?
Non, non… au niveau de ma famille tout se passait bien, il n’y a eu aucun problème d’adaptation. Les études des enfants, bon, ça va, ça marche très bien. À vrai dire, je n’ai pas eu de problème jusqu’à maintenant.
K : Préservez-vous des coutumes malgaches ?
L’application de la coutume malgache ici, euh… non, non… Je ne vois pas, on vit à la française, quoi. Ici, ma famille et moi-même, nous nous sommes adaptés à la mode du pays, que ce soit à la pratique de la langue, que ce soit au niveau vestimentaire… Par contre, au niveau de l’alimentation, on reste toujours malgaches avec comme base, le riz. En fait, c’est plutôt facile pour un malgache de vivre ici parce que le prix du riz est abordable, et au niveau de l’alimentation c’est vraiment économique car il y en a pour toutes les bourses, quoi.
K : Avez-vous la nationalité française, aujourd’hui ?
Non, non… Mais je possède un carte de séjour "salarié" renouvelable annuellement que j’ai obtenue en 2004, quand j’ai eu le diplôme d’Etat d’infirmier français et c’est là que j’ai changé de statut, du statut "étudiant" en statut "salarié". Normalement, pour régulariser notre situation, il faut encore attendre cinq ans, mais avec le nouveau ministère de l’immigration, on ne sait pas encore ce qui va se passer entre temps. On ne sait pas…
K : Retournez-vous à Madagascar ?
Ça fait dix ans que je ne suis pas allé parce que ça coûte trop cher. Comme nous sommes quatre dans la famille avec mes deux enfants, nous ne pouvons pas nous permettre de voyager ensemble pour le moment, surtout que nous sommes dans la période de haute saison où les prix des billets sont très chers, quoi. Ce sont donc mon épouse et mes deux enfants qui vont aller à Madagascar.
K : Qu’est-ce qui vous lie le plus à votre vie française ?
J’y pense pas trop, à ma vie à Madagascar. Je ne suis pas, par exemple, comme ma femme qui évoque à chaque instant ses parents, son quartier… Pour moi donc, ça ne me dérange pas si je vis ici ou ailleurs. Mais disons que ce qui me lie à la vie française, c’est plutôt le plan financier et la qualité de vie qui sont un peu mieux par rapport à Madagascar. Vous voyez, le pouvoir d’achat à Madagascar pour les classes moyennes est très… très bas. Moi, quand j’étais là-bas, j’étais obligé de faire un autre boulot pour arrondir les fins du mois, parce qu’en fait j’étais à la fois médecin et chauffeur guide… Ici, en France, ce n’est pas le paradis mais voyez, si on travaille on peut vivre quand même… Et d’ailleurs, tout ce qu’on souhaite acheter on peut l’avoir plus rapidement avec toutes les formes de crédits et autres qu’on nous offre tous les jours. En fin de compte, ici, il suffit de travailler et de faire des projets pour avoir accès à une offre de crédit à taux très réduit, ce qui n’est pas le cas à Madagascar.
K : Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez en France ?
Vous savez, quand on n’est pas dans son pays, il y a toujours des contraintes, quoi… mais il faut s’adapter… Pour moi la clé de la réussite, c’est le pouvoir de s’adapter par rapport à tout ce qui se passe.
K : Quels sont vos projets d’avenir ?
Pour le moment nous avons décidé de rester en France, mais ça va dépendre aussi de notre carte de séjour. En tout cas nous avons déjà déposé auprès de la Préfecture une demande de naturalisation et on attend la suite…
Propos recueillis par Claude Ranaivo le 11/07/07 ; rédaction : Odile Fourmillier.
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