Ex-conseillère conjugale, Marie-Jo est aujourd’hui diplômée en psychologie. Elle cumule un poste au service d’écoute téléphonique auprès de Drogues Info Service, où elle renseigne autant les personnes toxicomanes et leur entourage que des individus en quête d’informations. Marie-Jo travaille aussi au sein d’une "maison ouverte" créée par F. Dolto, un lieu d’accueil parents-enfants. Par ailleurs, elle exerce dans son propre cabinet. D’emplois en formations, elle est parvenue, grâce à son dynamisme, à trouver sa voie.
Koinai : Votre travail vous plaît-il ?
Oui. J’ai mis du temps à exercer puisque lorsque je suis arrivée à Marseille, j’avais à peine 18 ans. J’ai fait des études de lettres, jusqu’au DEUG. Je n’étais pas vraiment passionnée... Puis, j’ai trouvé du travail en tant qu’éducatrice, alors je suis partie dans les Alpes Maritimes, où j’ai exercé ce métier pendant trois ou quatre ans. Quand cela ne m’a plus convenu, j’ai repris des études de conseillère conjugale. C’était pas satisfaisant non plus, donc parallèlement, j’ai trouvé du travail à la Caisse d’Allocations Familiales où j’étais dans un service social : je m’occupais d’aides financières accordées aux familles. Peu enthousiasmée, j’ai pris la décision de recommencer des études longues pour suivre un cursus de psychologie. Aujourd’hui, je ne regrette pas ce choix, le travail me plaît.
K : Qu’est-ce qui vous a dérangé dans l’exercice du métier de conseillère conjugale ?
C’est très ciblé... Il faut savoir qu’on a créé ce diplôme pour répondre à une demande suite à la loi de 1975 concernant l’IVG. Toute femme pouvait alors demander à se faire avorter à condition qu’elle ait un entretien préalable avec une assistance sociale. On s’est vite aperçu que les assistantes sociales étaient parfois sur un versant peut-être éducatif, où le jugement était... Enfin bref. L’écoute était-elle bonne ? La question s’est posée et on a créé cette formation. Celle-ci était essentiellement axée sur l’IVG et les entretiens la concernant. Bien qu’intéressante, cette approche, basée sur les techniques d’entretien, me semblait quand même trop superficielle.
K : Qu’en est-il aujourd’hui de l’IVG ?
Je pense que le problème est de plus en plus difficile à résoudre pour ces femmes. Par exemple, je lisais dernièrement que certaines continuent d’aller en Angleterre et d’autres en Belgique. La pression persiste donc dans les cliniques, et l’IVG n’est pas acquise... C’est même redevenu compliqué, on a reculé sur ce point là, et drôlement.
K : Avez-vous eu l’occasion de rencontrer directement des personnes qui se trouvent dans cette situation ?
Plus depuis très longtemps. Mais autrefois, lors de stages, j’ai suivi des femmes qui venaient pour une demande d’IVG. Je les accompagnais pendant l’IVG, ce qui était douloureux pour moi aussi. Je crois que je vivais cette intervention comme un déchirement. C’était pas le cas pour toutes, mais bien souvent, elles ne le vivaient pas si bien que ça, même si c’était leur choix, même si elles avaient réfléchi à la question. J’en ai rencontrées qui, après, revenaient pour parler de ce qui s’était passé et comment elles vivaient cette épreuve. Professionnellement, cette période m’a épuisée.
K : Croyez-vous qu’une femme sans emploi puisse être heureuse ?
Il me semble que je ne resterais pas sans travail, j’ai besoin d’une activité quelle qu’elle soit, manuelle ou intellectuelle. Ne pas avoir d’activité n’est pas un souci, mais ne pas avoir de travail c’est aussi ne pas avoir d’argent et ça, ce n’est pas envisageable à long terme, ça sous-entend de dépendre de quelqu’un, et ce n’est possible que de façon transitoire... Ça m’est arrivé, de faire le choix de quitter un travail mais j’en ai toujours discuté, au préalable, avec mon mari. C’était donc un accord pour tous les deux et pour un certain temps, pendant lequel je restais sans travail, "sans argent". Au niveau financier c’est assez facile, à vrai dire.
K : Êtes-vous mariée depuis longtemps ?
On vit ensemble depuis dix-huit ans. On s’est marié il y a douze ans. Dans l’ensemble, ça se passe bien, je dirais même de mieux en mieux. Il m’a fait découvrir sa vie. Je me sentais complètement à l’étranger, avec lui. En plus, sa langue maternelle n’était pas le français, mais le flamand. Et il a refusé d’apprendre le français...
K : Quel problème ça a engendré dans votre vie quotidienne ?
Quand mon mari est arrivé à Marseille, il ne comprenait pas notre façon de vivre. C’est quelqu’un qui se met facilement en colère. Il était complètement désemparé parce qu’il ne trouvait pas les mots, donc il partait comme ça dans des tirades en flamand, ce qui provoquait des réactions d’agressivité de ma part. Comment être en face de quelqu’un qu’on ne comprend pas ? C’est pas facile. Pour lui, c’était pareil, car il se sentait dans un monde hostile.
K : Sur le plan des tâches ménagères, comment s’est organisée la répartition ?
On n’a pas eu besoin d’en parler, c’est quelque chose qui s’est passé naturellement. Je dirais qu’il y a toujours eu un partage dans la mesure où mon mari est quelqu’un qui aime cuisiner. Il passe volontiers la serpillière, c’est toujours lui qui le fait, les vitres aussi. Moi, je fais la poussière, la lessive. Ça va, je ne souffre pas, même s’il rouspète. Finalement, les choses du quotidien se font sans difficulté, sans que l’un ou l’autre se sente lésé ; par exemple, généralement le matin, je ne travaille pas très tôt, donc c’est moi qui vais faire la vaisselle de la veille ou préparer un petit truc à manger le week-end. C’est toujours lui qui va mijoter des plats pour deux ou trois jours, ça s’organise comme ça.
K : On peut en conclure que vous avez la même approche de la répartition des rôles dans le couple ?
Oui, ça a été très facile mais d’ailleurs je dirais qu’avant lui, j’ai connu d’autres hommes, mais ce n’était pas vraiment une vie de couple au quotidien. Les deux que j’ai rencontrés précédemment concevaient le partage des tâches de la même façon, alors je me suis dit que le choix ne se fait pas par hasard. Peut-être que ce type d’homme m’a attirée, ça n’a jamais été des machos quoiqu’il y a un tas de gens qui sont machos et qui mettent la main à la pâte.
K : Vos parents se répartissaient-ils aussi les tâches ?
Mon père est quelqu’un qui a fait beaucoup de choses. J’ai perdu ma mère quand j’avais dix ans, elle a été malade pendant quelques années auparavant. Peut-être que mon père a fait plus que ce qu’il aurait fait en temps normal, mais je l’ai toujours vu passer la serpillière, faire à manger et beaucoup de choses dans la maison, sans difficulté. Par contre, chez les paysans, ce n’est pas les grands-pères qui auraient mis la main à la pâte pour faire la vaisselle.
K : Avez-vous le sentiment que tout est aussi harmonieux dans les autres couples ?
Non, certainement pas. En tout cas, c’est ce dont souffrent beaucoup de femmes. Elles ont l’impression d’assumer beaucoup de tâches, beaucoup de responsabilités, d’avoir un homme qui rentre fatigué par sa journée de travail. J’entends beaucoup d’hommes dire qu’ils aimeraient bien faire quelque chose, mais leurs femmes ne leur demandent que de l’aide. Ils ne veulent pas aider, ils veulent faire quelque chose ; ils ne veulent pas simplement être collaborateur de temps en temps ; ils disent que les femmes ne les laissent pas libres de faire ce qu’ils veulent comme ils veulent. J’ai l’impression que les uns et les autres n’arrivent pas à trouver d’entente. Peut-être que les femmes trouvent une certaine satisfaction à savoir comment faire les choses et elles voudraient imposer aux hommes leur façon.
K : S’agit-il de transmission de culture ?
Elles ont été élevées comme ça, consciemment ou inconsciemment, et souhaitent transmettre cet héritage culturel.
K : Pourrait-il y avoir une reproduction du schéma familial ?
Peut-être, mais je crois que ça travaille : à force d’en discuter ou d’imposer ce qu’elles veulent vraiment, les choses bougent. Je ne parle pas de mes patients, mais seulement de moi. Ma grand-mère était une femme de maison, donc elle avait sa place, il ne fallait pas la déloger : pour nettoyer la table, il fallait passer l’éponge et le chiffon sec. Pour balayer, il fallait commencer d’un côté, pas de l’autre. Bref, elle m’a appris à faire le ménage à sa façon, comme une répétition. Et je l’applique chez moi. Il a fallu du temps pour que j’accepte que mon mari n’ait pas la même façon de faire. Il y a eu quelques disputes. Il est bien entendu que moi, je savais mieux que lui (rires). Mais c’est moi qui ai lâché. Je pense que les femmes ont leur part de responsabilité. Aux hommes de lutter aussi (rires).
K : Le bonheur passe-t-il par le couple ?
Je ne sais pas. Je rencontre peu de gens vraiment heureux. Généralement, quand ils viennent, c’est qu’ils vont mal. Souvent le fait de ne pas avoir de conjoint est vécu comme quelque chose de douloureux. C’est la solitude, c’est pas le bonheur. Les gens seuls, qui sont heureux, appartiennent généralement à un couple : même s’ils ne vivent pas ensemble dans un même appartement, sentimentalement, affectivement, ils ont quelqu’un de proche.
K : Quel problème revient régulièrement chez les personnes qui vous consultent ?
C’est sans doute l’incompréhension, la solitude. Que ce soit pour les hommes et les femmes, c’est ce même sentiment qui les met en état de détresse.
K : Une femme peut-elle être heureuse sans enfant ?
Oui, j’allais dire que cette étape compte. C’est mon cas, c’est notre cas, puisqu’on avait décidé d’avoir un enfant et qu’on n’a pas pu. Je n’ai jamais vécu cette impossibilité comme quelque chose d’important. Pas de désespoir donc, mais une grande réflexion. J’avais un désir très fort d’en avoir un et, en même temps, je n’ai pas senti que ma vie s’arrêterait si je n’avais pas d’enfant. Aujourd’hui, après en avoir longuement discuté, on a fait le choix de ne pas adopter.
K : Que pensez-vous de la femme dans la vie publique ?
Je crois qu’on vérifie sans cesse que les hommes ont quand même des places plus importantes dans la société et ce que je constate aussi, c’est qu’il est plus facile pour un homme de trouver du travail, notamment dans le domaine de la psychologie. On recherche plus des hommes, alors peut-être qu’il y en a moins sur le marché, je ne sais pas (rires).
K : Comment ce favoritisme des employeurs pour une catégorie sexuelle peut-il s’expliquer ?
Un exemple très simple. Dans la maison ouverte où je travaille, on est trois par équipe : deux femmes et un homme. Parce que les femmes postulent plus. On attend les hommes, en vain ! Du coup, pour respecter les quotas, ils sont privilégiés, à l’embauche. Maintenant, ailleurs, je ne sais pas quels sont les arguments.
K : Quelle est la place de l’amitié dans l’épanouissement d’une femme ?
C’est important.
K : Des études sociologiques montrent que les hommes ont plus de plaisir à se retrouver en grand comité, alors que les femmes préfèrent les petits groupes dans le cadre de leurs relations amicales entre femmes, où elles peuvent se faire des confidences. Croyez-vous que l’amitié entre femmes soit essentiellement basée sur les confidences ?
Non, je ne crois pas. Ça fait partie d’une relation amicale profonde de pouvoir, à un moment donné, se confier à quelqu’un parce qu’on ne dit pas les mêmes choses à une amie qu’à la personne avec qui on vit. Et puis j’ai l’impression aussi que ça peut être, quand il s’agit d’une amitié, ça peut-être un moment où on va se lâcher. Mais si c’est basé que sur la possibilité de faire des confidences, ça va pas très loin. Je ne sais pas, des goûts communs, des envies de partager des spectacles, des idées...
K : L’amitié est-elle possible entre un homme et une femme ?
Oui, c’est possible. C’est toujours dangereux au départ. Il n’est pas certain que l’autre ait les mêmes attentes. J’ai vécu ça, une grande amitié que je prenais pour une amitié réciproque. Je me suis aperçue que cet homme, finalement, était amoureux de moi. Il a donc fallu mettre un peu de distance pour, à nouveau, pouvoir être amis. Aujourd’hui, on est véritablement amis, les choses sont claires.
K : Quelle serait la femme idéale pour vous, celle que vous aimeriez pour amie ?
C’est impossible, parce qu’il m’en vient des tas. Une femme idéale... ma grand-mère ; je n’aurais pas voulu qu’elle soit autrement. Mais je ne voudrais pas être cette femme-là, je ne suis pas passionnée par le ménage, la lessive et les enfants à ce point. Elle a consacré sa vie à ça, c’est pas le même objectif. Mais en tant que petite fille, oui, c’était la femme idéale. Cela dit, des tas d’autres femmes m’ont impressionnée, fait rêver.
K : J’ai retrouvé des proverbes. Je serais curieux de voir ce que vous en pensez ? "Ce que femme veut, Dieu le veut".
C’est quand on prend la femme pour une hystérique !
K : "Bats ta femme tous les matins. Si toi tu ne sais pas pourquoi, elle, elle le sait".
Mais moi d’habitude, je dis l’inverse : "Bats ton mari". Voilà (rires) ! Mais je fais une parenthèse. Il existe des hommes battus, c’est peut-être encore plus dur pour eux d’en parler.
K : Professionnellement, avez-vous rencontré ce genre de situation ?
Une fois, oui, mais ce n’était ni l’homme ni la femme qui appelait, c’était un enfant battu, de douze ans. Cet entretien téléphonique, c’était terrible pour l’enfant. Je pense que c’était difficile d’avoir, face à lui, ce père maltraité et cette mère toute puissante. Oui, ça arrive. C’est parfois beaucoup plus traumatisant pour un enfant, de dénoncer sa mère que d’avoir à subir ce qu’il subit. Souvent on n’imagine pas que les femmes puissent avoir une telle violence, mais les femmes sont aussi agressives, mais c’est plus rare que ce soit elles qui frappent. En tout cas, ce type de conversation est terrible psychologiquement. Le soir, je suis rentrée fatiguée... effondrée.
K : "Si les hommes savaient ce que pensent les femmes, ils oseraient deux fois plus".
Ça m’évoque la sexualité. Je ne crois pas que ça marcherait aussi bien que ça...
K : "C’est la femme qui fait l’homme".
C’est méprisant pour l’homme, de la même façon qu’on a pu dire qu’une femme n’était que la femme de son mari. Dire "C’est la femme qui fait l’homme" n’est pas acceptable. Peut-être qu’on peut dire alors, c’est la mère qui élève son enfant, qui va faire en sorte qu’il devienne ce qu’il est, et encore, c’est oublier la part de l’enfant lui-même.
K : "Derrière tout homme qui réussit, il y a une femme".
Moi ça m’évoque une image. J’ai vu un documentaire il y a quelques mois, c’était sur de Gaulle. Il était interviewé chez lui, près du feu, et il y avait sa femme à côté de lui en train de tricoter. Je me dis aujourd’hui que c’est impensable de filmer Chirac avec Bernadette à côté en train de faire ça. Ça ferait une image complètement négative, alors qu’à l’époque ça devait rassurer. Madame de Gaulle était une femme au foyer qui tricotait près du feu, et dans l’ombre de son mari, bien évidemment !
K : Vous est-il arrivé de recevoir des femmes atteintes de graves maladies ?
Non. Je pensais à une femme invalide, qui me disait qu’elle était en souffrance, à cause du fait de ne pouvoir rencontrer d’homme, et surtout, de ne pas oser avoir des relations sexuelles parce qu’elle était abimée physiquement. Mais il y a aussi le fait d’entendre des femmes se plaindre de leur physique. C’est aussi un truc que je ne supporte pas. Une femme ne peut pas se permettre d’avoir des bourrelets, mais elle peut encore être attirée par un homme bedonnant... Mince, à la fin (rires) ! Les femmes, par rapport au vieillissement de leur physique, sont gênées à cause de l’image de la beauté qu’on peut voir partout. Je ne sais pas si on peut leur dire "Trouvez-vous belles, sans regarder ces images de magazines." Pour elles, la beauté c’est ça, l’absence de cellulite, de bourrelets. La beauté se dégage d’une autre façon, et j’ai l’impression que c’est ce qu’elles voient dans les hommes. Très bien, mais pourquoi ne pas remarquer qu’il se dégage aussi quelque chose de la femme ?
K : Avez-vous envie d’ajouter quelque chose sur les femmes ?
Je dirais que ce qui m’attriste, par exemple, c’est un témoignage que j’ai eu au téléphone, d’un jeune homme qui jugeait une femme avant le mariage, sur le fait qu’elle n’était peut-être pas vierge. Oui, ça m’attriste beaucoup. Alors j’en discutais et on m’a dit : "Mais n’oublie pas qu’en France, avant, c’était à peu près la même chose. Une femme qui n’était pas vierge quand elle arrivait au mariage, c’était une fille de rien, une traînée, ce n’était pas une femme bien." Sauf qu’il me semble qu’avant, il y avait des femmes bien et aujourd’hui, il y en a qui sont entre deux, qui ont été abusées et cela me révolte parce qu’elles ne sont pas assez fortes. La femme, c’est une multitude d’êtres très différents.
Propos recueillis par Xavier Gostanian, février 2005
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