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Un paradis à retrouver - Vis ma ville - Qu'elle était verte ma colline - La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

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La revue du témoignage urbain

Qu'elle était verte ma colline

Un paradis à retrouver

"Cap au Nord" tient bon !

Militante de "Cap au nord", association axée sur la défense du cadre de vie, Lucienne Brun, par une approche historique des quinzième et seizième arrondissements, nous présente, au gré des flux migratoires, les mutations urbaines dont ils ont fait l’objet. Sa réflexion met l’accent sur la richesse du patrimoine naturel de ces quartiers qui contraste violemment avec l’état d’abandon dont ils sont victimes. Sur les traces de ce "paradis perdu" qu’elle voudrait voir renaître, elle organise des promenades découvertes de la Colline à des visiteurs stupéfaits par la beauté du site...


Koinai - Pouvez-vous commencer par vous présenter ?

Lucienne Brun - Je m’appelle Lucienne Brun. Je suis militante d’une association, avec un objectif prioritaire qui est la défense du cadre de vie sur le quartier. D’autre part, à titre personnel, je travaille sur le patrimoine. J’ai, en particulier, travaillé pendant deux ou trois ans plus particulièrement sur la Colline Consolat et publié ce travail qui est un des chapitres de mon livre « Sur les traces de nos pas », et organisé des balades à l’occasion des Journées du Patrimoine, et en dehors, sur cette colline.

J’habite le quartier depuis vingt-huit ans. Mais je suis née pas très loin d’ici, à l’Estaque. Je vis sur le chemin de Saint-Louis, au Rove, qui est perpendiculaire au chemin de Ruisseau Mirabeau. C’est vraiment un hameau villageois, qu’on appelle les Écarts de Saint-André, et j’y suis très bien.

Mais le quartier Consolat Mirabeau m’a beaucoup intéressée parce que ce n’est pas un quartier administratif. Ce n’est pas un noyau villageois avec un clocher. Il n’a plus grand-chose en terme de centre commercial. Il n’a pas de centre de vie. Historiquement c’était la campagne. Il y avait un noyau villageois à Saint-Louis, un noyau villageois à Saint-André, et au milieu, ça s’est peuplé, un peu de bric et de broc, à partir de l’explosion industrielle de 1850. Donc, un quartier qui se définit comme ça, par cet entre-deux, entre le passage à niveau de Saint-André et l’aqueduc de Saint-Louis, et de l’autre côté entre le chemin de Saint-Louis au Rove et le port au niveau de Mirabeau. Ça fait une espèce d’hémicycle qui s’est peuplé de manière plus récente que les noyaux villageois, et un peu plus chaotique, avec très tôt un habitat social, puisque la première cité d’habitat social date de longtemps ici, c’est la cité Saint-Louis en 1928.

K. - Quand l’association "Cap Au Nord" a-t-elle été créée ?

LB. - "Cap au Nord" est une association de défense du cadre de vie, qui est née en 1993, et qui, au départ, était sur une problématique très micro-locale, le hameau des Tuileries, mais qui a eu dès le début, dans ses statuts, vocation à s’intéresser aux problèmes du cadre de vie dans les XVe et XVIe arrondissements. Et qui a donc grossi par noyaux successifs, à tel et tel endroit, en fonction des besoins aussi, et des problématiques du territoire, qui sont de plus en plus larges. L’association "Cap au Nord" participe au collectif des associations de Consolat Mirabeau, donc par répercussion, quand il y a des organisations de fêtes, etc. elle en est partie prenante. Sinon, sur la Colline, c’est essentiellement les balades.

K. - Comment vos actions sont-elles perçues par les habitants du quartier ?

LB. - En ce qui concerne les balades, je pense que la perception en est très positive. Il y a toujours eu beaucoup de monde sur les balades, et de plus en plus, d’année en année. C’est sûr qu’il y a une sensibilité au patrimoine qui augmente. L’autre partie est la défense du cadre de vie, et là aussi, c’est perçu de manière très positive, mais avec une mobilisation qui est plus ou moins fluctuante. Parce que je crois que plus les gens ont dans la vie des préoccupations fondamentales, au niveau de l’existence, moins ils se mobilisent facilement sur le cadre de vie. Mais, par exemple, on a eu une action sur le vidoir Mirabeau, avec l’ensemble des associations, mais un peu à l’initiative de "Cap au Nord", sur l’état des environnements des HLM Méditerranée de la Friche Casino, et donc, les associations ont également écrit un courrier qui exprimait clairement leurs positions sur la question de la Colline.

K. - Quelles sont les grandes caractéristiques de ce quartier ?

LB. - Donc, ce que je disais, c’est un habitat qui s’est installé a posteriori dans ce qui était de la campagne et qui a été caractérisé par deux éléments différents. Au début, je veux dire, c’est les vagues d’immigration qui arrivent parce qu’il y a du boulot sur ce quartier, donc les gens arrivent et se logent comme ils peuvent, et souvent dans des circonstances vraiment dramatiques. Et comme ils peuvent, ça veut dire aussi de l’auto-construction, ça veut dire aussi que les anciennes bastides ou villas, comme la Villa Favorite ou le château Lachèvre, on les morcelle pour faire des habitations parce que il y a un énorme besoin, l’auto-construction, on a encore un bel exemple en haut du chemin de Ruisseau Mirabeau, c’est la petite rangée où il y a la mosquée maintenant, et qu’on appelle la rangée des Espagnoles, il y avait que des Espagnols, là. En bas, c’étaient des Arméniens qui s’étaient installés et qui avaient construit eux-mêmes leurs maisons. Ça, c’est de l’habitat spontané, et puis à partir de la cité Saint-Louis, donc une volonté politique publique d’habitat social. Mais la cité Saint-Louis, toute petite, deux cent dix-huit logements, ça risquait pas de faire grand-chose à la crise du logement de l’époque, et en fait il faut attendre après la guerre pour avoir la construction des grosses cités d’habitat social qu’on a maintenant.

K. - Et quelles sont les populations qui composent le quartier ?

LB. - Actuellement, c’est une population qui est composée d’ouvriers, autant qu’il en reste dans la société française, de petits employés, de chômeurs. Les cadres, il doit y en avoir assez peu, je pense. Il y a des familles monoparentales, des familles nombreuses, des jeunes... Il y a toutes les caractéristiques d’un quartier populaire.

K. - Est-ce que ce sont plutôt des gens de passage ou des gens qui y habitent depuis très longtemps ?

LB. - Il y a toute une population qui est fixée depuis longtemps. Dans la cité Consolat, il y a des gens qui sont là pratiquement depuis le début de la cité, c’est-à-dire le tout début des années soixante, et au départ, ce qui est assez curieux, c’est que dans la population HLM, on a une population qui a tendance à reproduire les modes de vie de l’habitat spontané, c’est-à-dire à s’enraciner quelque part et à pas en bouger. Le plus bel exemple, c’est la cité Saint-Louis, où on en est à la quatrième génération. Mais le mode d’attribution actuel des HLM fait que ça va se renouveler de plus en plus rapidement. C’est peut-être aussi lié à un fort enracinement. Quand on a, sur des générations, des gens qui restent sur un territoire, c’est que quelque part il y a une reconnaissance, une identification. Moi je l’ai perçue en discutant comme ça avec des gens. Ils disent : « C’est nous, c’est chez nous, quoi ! ». Et je pense que cet aspect-là est d’autant plus important que, au départ, ces gens sont tous des immigrés, et donc, là, ils ont trouvé un travail, un logement tant bien que mal, en général ils avaient le travail d’abord, et le logement c’était plus difficile. Mais enfin, ils ont fait leur trou et ils ont plus trop envie d’en bouger. C’est vrai qu’on n’a pas une population qui est très mobile. Alors, après ça, il y a le mode d’attribution des logements qui crée une mobilité forcée, quand même. On est de la cité Saint-Louis, on n’est pas de Consolat. C’est vraiment à l’échelle de la cité. Et avec le fait que les vagues d’immigration et le besoin de loger des gens ont fait que souvent ces cités ont été conçues au départ pour tel ou tel type de population. La cité Saint-Louis, c’est que des Italiens, les Sources, c’est que des pieds-noirs pratiquement.

De plus, au plan urbanistique, c’est un chaos urbain. Il y a jamais eu de plan d’aménagement de ce quartier qui ait un quelconque souci urbanistique. On a stocké des populations parce qu’on avait besoin de les stocker, c’est tout. Pour moi, c’est ça qui caractérise ce quartier, parce que si on regarde Saint-Louis, c’est un quartier, Saint-André, c’est un quartier, ça oui. Mais au milieu, on s’est jamais donné la peine de penser la ville.

K. - Quelles sont les grandes évolutions des dix ou quinze dernières années ?

LB. - Moi, je pense que les tendances lourdes sont plus anciennes que ça. Je pense que ce quartier a vécu deux gros séismes sur les trente dernières années. Le premier, c’est effectivement la perte des emplois, avec les fermetures successives et, en particulier, tout ce qui concerne la réparation navale. Il y avait énormément d’ouvriers du port et de la réparation navale ici. En 1978, c’est six mille emplois qui tombent d’un coup. Le deuxième séisme, qui est peut-être moins évident, mais qui me semble très important, c’est la destruction du cadre de vie. Je pense que c’est pas la même chose d’être chômeur et de pouvoir partir à la pêche avec ses enfants, ou chômeur et pouvoir aller pique-niquer dans les collines avec sa famille, et d’être chômeur devant la télévision, sans un endroit où aller, et avec une espèce d’agressivité qui se développe parce que le moindre gosse, le moindre jeune, ou le moindre voisin qui fait du bruit, ça devient insupportable...

K. - Quels sont les espaces publics importants ?

LB. - Je dirais que des espaces publics qui soient des endroits fréquentables, qu’on ait envie de fréquenter, il n’y en a pas. On les traverse, on y passe quand on ne peut pas faire autrement. Sinon, sur la Colline, ce qui m’a frappé, moi, quand j’ai fait ce travail pour « Sur les traces de nos pas », j’ai interviewé plein de gens, j’ai enregistré et ce qui m’a frappé, c’est que ce qui a marqué profondément le changement de cadre de vie, c’est pas l’apparition des premières grandes cités, parce que la première grande cité, là, Consolat, quand il y avait encore plein d’espace autour, on avait encore des gens qui se comportaient comme des gens qui ont de l’espace autour, ils allaient dans la Colline, ils ramassaient des champignons, les gosses, ils faisaient des conneries, bon, comme partout, c’était très bien. C’est bien plus sympa de faire des conneries dans une colline que dans des caves. Et quand on interviewe les gens qui ont la cinquantaine maintenant, qui ont été les gosses des premières familles de la cité, ça, c’est extrêmement riche. Après, quand il y a du béton tout autour, là, pour le coup, il n’y a plus que la cité, et il n’y a plus de mémoire. On est en train de fabriquer des générations de gosses qui n’auront pas de souvenirs et ça, c’est grave. Donc, c’est ça aussi la revendication d’un espace qui soit entretenu, qui soit gardienné et qui soit libre, qui ne soit pas lié à un projet financé par je sais pas trop quoi, parce qu’on a décidé que ce qui était bien pour ce quartier, c’est je sais pas trop quoi, et c’est surtout pas d’avoir de l’espace de libre, voilà.

K. - Parlez-nous un peu des balades qu’organise votre association...

LB. - Sur la Colline, on organise donc des balades, qui sont toujours un mélange de plusieurs éléments : des photos anciennes, pour évoquer ce qu’a été le domaine Consolat ; ces photos datent, pour les plus anciennes du début du siècle, pour les plus récentes des années soixante ; ensuite des témoignages vécus d’habitants qui ont déjà un certain âge, et des interventions un peu plus historiques.

Cette colline, ça n’a pas un statut de parc dans l’imaginaire ou dans la mémoire. Il y a eu de grands effets d’annonce à sa création, mais non suivis d’effet, parce que, quand vous lancez un parc, que vous plantez des arbres et que vous partez, et que vous prévoyez pas de prises d’arrosage... Donc, tout a séché. Si vous regardez les photos de l’ancien domaine, il y avait là-dedans des arbres qui étaient centenaires et qui avaient des racines qui pouvaient aller chercher l’eau là où elle est. Ces arbres, on les a arrachés. Quand on plante des petits arbres, si on les arrose pas, ils crèvent, c’est aussi simple que ça. Donc, ma position, c’est que, ici comme ailleurs, la ville de Marseille essaye de se dégager de ses responsabilités et de ses charges. Quand on regarde la charte des jardins partagés telle qu’elle a été votée, c’est on ne peut plus flou, sauf que, premièrement, l’intention est évidemment de couper comme ça des délaissés, or, théoriquement, cette colline n’est pas un délaissé, c’est un parc auquel les habitants ont droit. Et deuxièmement, il y a une volonté, toujours dans un but de désengagement, de privilégier une gestion associative, donc, nécessairement, une occupation d’une partie de la Colline. Mais sur l’ensemble, c’est exclu, donc ça veut dire amorcer le morcellement de la Colline, et ça c’est extrêmement grave, parce qu’on peut aller jusqu’à dire : « Eh bien voilà, là, il y a ce petit bout qui est occupé, le reste, on en fait rien, on peut le vendre. »

K. - Aujourd’hui, qui va dans cette colline ?

LB. - Ah, les quelques personnes qui vont faire pisser leur chien, les lycéens qui traversent pour raccourcir, mais effectivement... moi, si vous voulez, je m’opposerai toujours à cette politique qui est celle de la ville de Marseille, qui est dire « On laisse la situation se détériorer tellement qu’après, les gens, n’importe quoi qu’on leur propose, ils trouvent que c’est mieux que ce qui existe ». Ça, c’est terrible.

K. - Il n’y a donc personne des autres quartiers qui y vienne ?

LB. - Les gens que j’amène pour les balades du patrimoine. L’année dernière, il y avait cent cinquante personnes.

K. - Mais spontanément, les gens ne viennent pas ?

LB. - Ça m’arrive assez souvent, en dehors des grandes balades, de faire visiter à des petits groupes, et quand je fais visiter cet endroit, les gens sont soufflés par la beauté de ce site, parce que la beauté du site, les paysages, c’est extraordinaire, par la richesse de l’histoire de ce site. En comparaison, l’état actuel, c’est vraiment un scandale !

K. - Quels sont les atouts et les problèmes de ce parc ?

LB. - Les atouts, c’est un grand espace, surtout à ne pas morceler, une situation absolument magnifique, le fait qu’il pourrait être le poumon vert pour toute cette population : du coté de Ruisseau Mirabeau, un bassin de cinq mille habitants quand même, et l’esplanade du lycée Nord, c’est encore deux mille lycéens. Alors, les inconvénients, c’est quoi ? Je pense qu’il faudrait l’aménager, mais pas nécessairement le suraménager, parce que c’est le parc de Séon qui a détruit la Colline, c’est l’arrachage des arbres, c’est le bétonnage. Je sais pas qui a conçu ce parc, mais c’est une aberration. Il faudrait le réaménager, le replanter, faire en sorte qu’il puisse être entretenu, et arrosé, et gardienné, parce qu’un espace comme ça, qui a été un no man’s land, peut pas tenir le coup si il y a pas de gardiennage. Et aussi, les derniers jardins ouvriers du quartier, quand je suis arrivée, il y en avait encore, pourquoi ils ont été abandonnés ? Parce que tous les légumes étaient piqués.

L. - Où se situaient les derniers jardins ouvriers ?

LB. - Avant, il y en avait partout, des jardins ouvriers dans ces quartiers. Alors, il y a toute une partie des jardins, en particulier ceux qui étaient entre Consolat et la cité Saint-Louis, qui ont disparu quand on a mis l’eau au compteur, quand on a supprimé les caisses à eau, parce que l’eau est devenue chère. Mais derrière chez moi, c’est-à-dire le long de la voie ferrée, au-dessus du chemin de Saint-Louis au Rove, il y avait toute une série de jardins ouvriers parce qu’il y avait de l’eau, il y avait un ruisseau. Moi, je les ai connus ces jardins, et puis, les premières années où j’étais là, tous les jours je trouvais une salade ou un truc devant ma porte, c’était super sympa. C’était en général des pépés qui continuaient à cultiver. Et puis, petit à petit, je les ai vus lâcher parce qu’ils en avaient marre de se faire tout faucher.

K. - Est-ce qu’il y a des équipements dans le parc ?

LB. - Oh, il y a quelques jeux d’enfant "absolument magnifiques" dans le parc. Non. Je veux dire, c’est n’importe quoi ! Il y a des toboggans "extraordinaires", on a l’impression que c’est fait pour que la racaille des quartiers Nord soit éliminée en herbe, en se précipitant dans le précipice...

K. - Et justement, il y a un sentiment d’insécurité ?

LB. - Moi, je ne l’éprouve pas parce que je le connais bien, parce que je m’y balade très souvent, parce que je m’y balade souvent en compagnie, mais ce sentiment d’insécurité, je l’ai entendu exprimé très souvent, oui. Pour les enfants, pour les adultes, pour tout le monde.

K. - Comment voyez-vous le quartier demain ? Qu’est-ce qui va changer, selon vous ?

LB. - Je pense que vraiment la seule chose qui puisse faire changer, c’est une forte mobilisation des habitants. Alors, après ça, on sait pas ce qui à un moment peut faire ou ne pas faire mobilisation. J’ai vu des mobilisations surprenantes quelques fois. Et à partir du moment où les gens se retrouvent et sont ensemble pour revendiquer quelque chose, en général, ça se passe beaucoup mieux et ils découvrent plein de choses. Voilà, je pense qu’il y a que ça.

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